Le roi David
Les relations ambigües entre les Philistins et le peuple d'Israël
Les Philistins qui occupaient les régions le long de la mer constituaient une menace permanente pour le peuple d'Israël. Il semble qu'il y ait eu régulièrement des conflits, suivis de périodes de cohabitation paisible. A cet égard, le récit de Samson est emblématique. Nous lisons les informations suivantes dans le livre des Juges
14.1 Samson descendit à Thimna, et il y vit une femme parmi les filles des Philistins. 14.2 Lorsqu'il fut remonté, il le déclara à son père et à sa mère, et dit: J'ai vu à Thimna une femme parmi les filles des Philistins; prenez-la maintenant pour ma femme. 14.3 Son père et sa mère lui dirent: N'y a-t-il point de femme parmi les filles de tes frères et dans tout notre peuple, que tu ailles prendre une femme chez les Philistins, qui sont incirconcis? Et Samson dit à son père: Prends-la pour moi, car elle me plaît. 14.7 Il descendit et parla à la femme, et elle lui plut. 14.10 Le père de Samson descendit chez la femme. Et là, Samson fit un festin, car c'était la coutume des jeunes gens.
14.11 Dès qu'on le vit, on invita trente compagnons qui se tinrent avec lui. 15.1 Quelque temps après, à l'époque de la moisson des blés, Samson alla voir sa femme, et lui porta un chevreau. Il dit: Je veux entrer vers ma femme dans sa chambre. Juges 14 et 15
Ce récit montre qu'il y avait à ce moment là des relations pacifiées entre Philistins et le peuple d'Israël.
Mais revenons à David. Après sa victoire sur le géant Goliath, il devint un héros national et fut l'objet d'un accueil triomphal à son retour
18.6 Comme ils revenaient, lors du retour de David après qu'il eut tué le Philistin, les femmes sortirent de toutes les villes d'Israël au-devant du roi Saül, en chantant et en dansant, au son des tambourins et des triangles, et en poussant des cris de joie. 18.7 Les femmes qui chantaient se répondaient les unes aux autres, et disaient: Saül a frappé ses mille, et David ses dix mille. 18.8 Saül fut très irrité, et cela lui déplut. Il dit: On en donne dix mille à David, et c'est à moi que l'on donne les mille! Il ne lui manque plus que la royauté. 18.9 Et Saül regarda David d'un mauvais oeil, à partir de ce jour et dans la suite. 1 Samuel 18, 6 à 9 La jalousie du roi Saül allait bien vite se transformer en une haine farouche obligeant David à ''prendre le maquis''. 22.1 David partit de là, et se sauva dans la caverne d'Adullam. Ses frères et toute la maison de son père l'apprirent, et ils descendirent vers lui. 22.2 Tous ceux qui se trouvaient dans la détresse, qui avaient des créanciers, ou qui étaient mécontents, se rassemblèrent auprès de lui, et il devint leur chef. Ainsi se joignirent à lui environ quatre cents hommes. 1 Samuel 22,1 à 2
David, un guerrier sanguinaire Avec sa troupe de rebelles, on dirait aujourd'hui ''d'insoumis'', David va parcourir le pays, continuellement poursuivi par une troupe d'élite et bien souvent en danger extrème. Finalement il ne lui restera plus d'autre issue que de se réfugier chez les Philistins. 27.1 David dit en lui-même: je périrai un jour par la main de Saül; il n'y a rien de mieux pour moi que de me réfugier au pays des Philistins, afin que Saül renonce à me chercher encore dans tout le territoire d'Israël; ainsi j'échapperai à sa main. 27.2 Et David se leva, lui et les six cents hommes qui étaient avec lui, et ils passèrent chez Akisch, fils de Maoc, roi de Gath. 27.3 David et ses gens restèrent à Gath auprès d'Akisch; ils avaient chacun leur famille 1 Samuel 27, 1 à 3 Pendant cette période, David va opérer des razzias dans la région du Neguev, Le temps que David demeura dans le pays des Philistins fut d'un an et quatre mois. 27.8 David et ses gens montaient et faisaient des incursions chez les Gueschuriens, les Guirziens et les Amalécites; car ces nations habitaient dès les temps anciens la contrée, du côté de Schur et jusqu'au pays d'Égypte. 27.9 David ravageait cette contrée; il ne laissait en vie ni homme ni femme, et il enlevait les brebis, les boeufs, les ânes, les chameaux, les vêtements, puis s'en retournait et allait chez Akisch. 27.10 Akisch disait: Où avez-vous fait aujourd'hui vos courses? Et David répondait: Vers le midi de Juda, vers le midi des Jerachmeélites et vers le midi des Kéniens. 27.11 David ne laissait en vie ni homme ni femme, pour les amener à Gath; car, pensait-il, ils pourraient parler contre nous et dire: Ainsi a fait David. Et ce fut là sa manière d'agir tout le temps qu'il demeura dans le pays des Philistins. 27.12 Akisch se fiait à David, et il disait: Il se rend odieux à Israël, son peuple, et il sera mon serviteur à jamais. 1 Samuel 27 David agit avec une rare cruauté, massacrant des tribus bédouines, et raflant le butin. Avec cynisme aussi, puisque, en ne faisant aucun prisonnier, il élimine tout témoin gênant. A son retour d'expédition, il n'hésiste pas à mentir sans vergogne au roi des Philistins. Devenu roi après la mort de Saül, David va encore mener de nombreuses guerres. 8.1 Après cela, David battit les Philistins et les humilia, et il enleva de la main des Philistins les rênes de leur capitale.
8.2 Il battit les Moabites, et il les mesura avec un cordeau, en les faisant coucher par terre; il en mesura deux cordeaux pour les livrer à la mort, et un plein cordeau pour leur laisser la vie. Et les Moabites furent assujettis à David, et lui payèrent un tribut.
8.3 David battit Hadadézer, fils de Rehob, roi de Tsoba, lorsqu'il alla rétablir sa domination sur le fleuve de l'Euphrate.
8.4 David lui prit mille sept cents cavaliers et vingt mille hommes de pied; il coupa les jarrets à tous les chevaux de trait, et ne conserva que cent attelages.
8.5 Les Syriens de Damas vinrent au secours d'Hadadézer, roi de Tsoba, et David battit vingt-deux mille Syriens. 2 Samuel 8, 1 à 5
Le roi David représente donc le roi guerrier, victorieux et triomphant de tous ses ennemis. Mais au prix de beaucoup de sang versé. Ce sera la raison pour laquelle ce ne sera pas à lui que reviendra la mission de construire le temple de Yahweh à Jérusalem.
28.1 David convoqua à Jérusalem tous les chefs d'Israël, les chefs des tribus, les chefs des divisions au service du roi, les chefs de milliers et les chefs de centaines, ceux qui étaient en charge sur tous les biens et les troupeaux du roi et auprès de ses fils, les eunuques, les héros et tous les hommes vaillants. 28.2 Le roi David se leva sur ses pieds, et dit: Écoutez-moi, mes frères et mon peuple! J'avais l'intention de bâtir une maison de repos pour l'arche de l'alliance de l'Éternel et pour le marchepied de notre Dieu, et je me préparais à bâtir. 28.3 Mais Dieu m'a dit: Tu ne bâtiras pas une maison à mon nom, car tu es un homme de guerre et tu as versé du sang. 1 Chroniques 28, 1 à 3 Alors, oui, pour le peuple judéen en l'an 30 ap.J.C., le roi David représentait un idéal, celui d'un souverain vainqueur de tous ses ennemis. Le peuple, soumis à l'occupation romaine, aspirait à retrouver un libérateur, qui, tel David, viendrait le libérer du joug romain. On comprend l'enthousiasme de la foule. Beaucoup de gens étaient attirés par ce courant de pensée. '' Leur envie naturelle était de voir la destruction de l'ennemi, de venger l'injustice et d'humilier les adversaires. Il n'est pas surprenant que dans une tradition de chefs militaires, et de rois guerriers, les gens préféraient que le messie soit un roi guerrier dans la lignée du roi David, débouchant sur une ère de paix sans fin.''(1) La foule lors de l'entrée de Jésus à Jérusalem était enthousiaste, comme nous le rapporte l'évangéliste Matthieu ; 21.8 La plupart des gens de la foule étendirent leurs vêtements sur le chemin; d'autres coupèrent des branches d'arbres, et en jonchèrent la route. 21.9 Ceux qui précédaient et ceux qui suivaient Jésus criaient: Hosanna au Fils de David! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur! Hosanna dans les lieux très hauts! Matthieu 21, 8 à 9 Et pourtant Jésus ne partage pas cette vision d'un roi guerrier. D'abord, il demande comme monture un ânon, symbole s'il en est de la douceur et de la paix, le contraire d'une monture de guerre comme un cheval. 21.1 Lorsqu'ils approchèrent de Jérusalem, et qu'ils furent arrivés à Bethphagé, vers la montagne des Oliviers, Jésus envoya deux disciples,
21.2 en leur disant: Allez au village qui est devant vous; vous trouverez aussitôt une ânesse attachée, et un ânon avec elle; détachez-les, et amenez-les-moi.
21.3 Si, quelqu'un vous dit quelque chose, vous répondrez: Le Seigneur en a besoin. Et à l'instant il les laissera aller.
21.4 Or, ceci arriva afin que s'accomplît ce qui avait été annoncé par le prophète:
21.5 Dites à la fille de Sion : Voici, ton roi vient à toi, plein de douceur, et monté sur un âne, Sur un ânon, le petit d'une ânesse. Matthieu 21, 1 à 5 Comme le rapporte Naïm Stifan Ateek (2) il semble que Jésus lui-même refuse cette filiation davidique, si on en juge par ses propres paroles : « Les trois évangiles synoptiques rapportent un débat entre Jésus et les scribes et les pharisiens sur la relation entre le messie et David. Jésus souligne que le messie ne peut pas être le fils de David, parce que David l'appelle '' Seigneur''. « Comment les scribes peuvent-ils dire que le messie est le fils de David ? David lui-même, guidé par le Saint-Esprit, a déclaré : Le Seigneur a dit à mon Seigneur, assieds-toi à ma droite, jusqu'à ce que je mette tes ennemis sous tes pieds' »( Mc 12,35-37;Mt 22, 41-46 ; Lc 20, 41-44). Cela ne signifie-t-il pas que Jésus ait remis en question, ou même rejeté, le courant davidique guerrier de la tradition ? »(3) Roger Garaudy aussi remet en cause cette filiation. Dans son livre '' Vers une guerre des religions'', il écrit : « Jésus refuse d'être tenu pour le'' roi des juifs'' .Lorsque Pilate l'interroge : « Es-tu le roi des juifs ? » Jésus lui répond : « C'est toi qui le dis. ». Pilate dit aux grands prêtres et aux foules : « Je ne vois rien qui mérite condamnation en cet homme »(Lc 23, 3-4). Il est donc clair que la réponse de Jésus ne signifie pas qu'il accepte ce titre, sans quoi Pilate ne l'aurait pas absous : se proclamer ''roi des juifs'' étant un acte de rebellion contre l'Empereur romain, acte passible de mort. Ce qui est confirmé par la version de Jean( 18,33-38). Lorsque Pilate pose la question : « Es-tu le roi de juifs ? », Jésus lui répond : « Dis-tu cela de toi même ou d'autres te l'ont dit de moi ? ».Et il précise : « Ma royauté n'est pas de ce monde ». Pilate revient à la charge : « Tu es donc roi ? », Jésus lui répond : « C'est toi qui dis que je suis roi. Je suis né et venu dans le monde pour rendre témoignage de la vérité. » »(4) Roger Garaudy pose la question de la continuité entre l'Ancien et le Nouveau Testament, et il ajoute : '' Jésus est-il l'héritier de David ?''(5) Jésus n'a jamais voulu de cette puissance, il n'a jamais voulu être un messie de puissance. Et Garaudy de poursuivre : « Nous avons montré dans ''Avons-nous besoin de Dieu ?'',(6) en rappelant la biographie de David établie dans Samuel I et II, combien il était paradoxal de prétendre trouver en Jésus les ''traits fondamentaux'' de ce condotierre sanglant » Garaudy relève aussi(6) que « le Catéchisme de 1992 nous dit que « David fut par excellence le roi selon le cœur de Dieu » et qu'on a pu trouver en Jésus-Christ, Messie d'Israël, ses « traits fondamentaux ». Cette identification est d'autant plus fâcheuse, poursuit Garaudy, que la biographie de David d'après la Bible( il n'existe aucune trace historique de David(7) en dehors de ce qu'en dit la Bible), de 1 S 16 à 2 S 24, en fait un personnage inquiétant. » Nous avons évoqué précédemment les '' exploits '' guerriers de David. « Cette ascendance davidique sera revendiquée par Paul et les évangélistes et elle va peser sur toute l'histoire de l'Eglise. Comment le dieu tribal, Yahweh, peut-il être assimilé au Père qu'invoque Jésus, et ses plus féroces exécutants, par exemple Josué et David, être considérés comme des précurseurs de Jésus ? »(8). Relevons aussi que pour justifier la thèse de Paul, soucieux d'intéger Jésus à l'histoire juive, disant de son Christ qu'il est « issu selon la chair de la lignée de David »(Rm 1,2), Matthieu( 1,1-16) et Luc(3,23-38) sont contraints à d'étranges manipulations. Comme l'écrit Garaudy, « l'un,(Luc) énumérant quarante-deux générations de David à Jésus, l'autre, (Matthieu), vingt-six avec des noms si arbitraires que deux seulement( Salathiel et Eliakim) se retrouvent dans les deux listes, tout cela pour aboutir à Joseph, père adoptif de Jésus et non « selon la chair », selon la « race » comme le dira Paul, revendiquant son appartenance juive( Rm 9,3) »(9)
En conclusion, nous avons relevé que Jésus lui-même ne revendique nullement une filiation davidique, bien au contraire. Par ses paroles, par ses actes, il rejette toute idée de domination ou de restauration d'un royaume terrestre. Il ne s'agit pas, pour Jésus, conclut Roger Garaudy,(10) de restaurer le royaume d'Israël et d'être un messie de type davidique, mais de donner de l'espérance à tous les hommes.
Marc
(1) Naïm Stifan Ateek, Le cri d'un chrétien palestinien pour la réconciliation, Editions l'Harmattan, Paris, 2013, p.153
(2)Naïm Stifan Ateek, prêtre de l'Eglise épiscopalienne( anglicane) du diocèse de Jérusalem et du Moyen-Orient, est né en 1937 à Beit-Schéan en Galilée. Sa famille est expulsée de son domicile en 1948 lors de la guerre israélo-arabe. Il fut le fondateur et directeur du centre oecuménique Sabeel de théologie de la Libération à Jérusalem, créé en 1990. Sur le site de Sabeel France, le lecteur trouvera tous les renseignements ainsi que la revue Cornerstone qui donne des nouvelles régulières sur la Palestine: http://amisdesabeelfrance.blogspot.fr/
(3) Naïm Stifan Ateek, Le cri d'un chrétien palestinien pour la réconciliation, Editions l'Harmattan, Paris, 2013, p.153
(4) Roger Garaudy, Vers une guerre de religion ?, Desclée de Brouwer, p.158
(5)Titre du chapitre 4, Roger Garaudy, de Vers une guerre de religion ? p.160
(6) Roger Garaudy, Avons nous besoin de Dieu ?, p.41 à 43
(7) A l'exception d'un indice relevé sur des débris d'une stèle découverte en 1993-1994 à Tel Dan et datée de la seconde moitié du IX e siècle av.J.C. Ces quelques lignes incomplètes gravées dans la pierre ont fait couler beaucoup d'encre. D'abord parce que la pierre est brisée et qu'on a de la peine à reconstituer le texte manquant, ensuite parce que cette stèle peut mentionner(ou pas) la « maison de David »
http://www.interbible.org/interBible/decouverte/archeologie/2013/arc_130308.html
(8) Roger Garaudy, Vers une guerre de religion ?,
Desclée de Brouwer, p.168 et suiv.
(9) Roger Garaudy, Vers une guerre de religion ?,
Desclée de Brouwer, p.162
(10) Roger Garaudy, Vers une guerre de religion ?,
Desclée de Brouwer, p.158