Par arrêts datés du 6 et du 28 décembre 2018, le Conseil d'Etat a annulé plusieurs dispositions réglementaires qui ne garantissaient pas une séparation fonctionnelle effective entre l'autorité administrative qui instruit une demande d'autorisation et l'autorité environnementale qui émet un avis sur l'évaluation environnementale d'un projet. Analyse du sens et de la portée de ces décisions.
Résumé1. Par deux décisions du 6 et du 28 décembre 2017, le Conseil d'Etat a annulé plusieurs dispositions du décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 portant réforme de l'autorité environnementale et du décret n°2016-1110 du 11 août 2016 relatif à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes.
2. Le Conseil d'Etat annule ainsi des dispositions qui ont eu pour effet de maintenir ou de prévoir au sein du code de l'environnement que le préfet de région peut, pour certains projets, être à la fois l'autorité qui instruit une demande d'autorisation administrative et l'autorité environnementale qui émet un avis sur l'évaluation environnementale dudit projet.
3. Le Conseil d'Etat fait ainsi application de la règle de séparation fonctionnelle qui doit exister, au sein de l'administration, entre le service instructeur et l'autorité environnementale.
4. A la suite de ces deux décisions, toutes les décisions - d'otroi ou de refus d'autorisation - prises à la suite d'un avis irrégulier de l'autorité environnementale ne sont pacs automatiquement devenues illégales.
I. Le sens des décisions du 6 et du 28 décembre 2017 : l'Etat doit garantir une séparation fonctionnelle entre l'autorité qui autorise et l'autorité qui émet un avis sur l'évaluation environnementale d'un projetA) Par une décision n°400559 datée du 6 décembre 2017, le Conseil d'Etat a annulé le 1° de l'article 1er du décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 portant réforme de l'autorité environnementale en tant qu'il maintient, au IV de l'article R. 122-6 du code de l'environnement, la désignation du préfet de région en qualité d'autorité compétente de l'Etat en matière d'environnement.
Notons dés à présent qu'il s'agit d'une annulation "en tant que" et non d'une annulation pure et simple de ce 1° de l'article 1er du décret du 28 avril 2016.
En premier lieu, l'article 1er du décret du 28 avril 2016 maintient au IV de l'article R. 122-6 du code de l'environnement la règle selon laquelle le préfet de région peut être l'autorité environnementale pour certains projets.Cet article R.122-6 énumère :
- au I : les projets pour lesquels l'autorité environnementale est le le ministre chargé de l'environnement
- au II : les projets pour lesquels l'autorité environnementale est la formation d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable
- au III : les projets pour lesquels l'autorité environnementale est la mission régionale d'autorité environnementale (MRAE) du Conseil général de l'environnement et du développement durable de la région sur le territoire de laquelle le projet doit être réalisé
Le IV de l'article R.122-6 du code de l'environnement précise que, pour les projets qui ne sont pas énumérés au I, II et III : l'autorité environnementale est le préfet de région. Ce IV de l'article R.122-6 n'a pas été modifié par l'article 1er du décret du 28 avril 2016. C'est pourquoi son annulation était demandée par l'association auteure du recours devant le Conseil d'Etat.
En deuxième lieu, le Conseil d'Etat rappelle la règle relative à la séparation fonctionnelle qui doit exister entre le service instructeur et l'autorité environnementale.Règle issue du droit de l'Union européenne tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne :
"Il résulte clairement des dispositions de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que, si elles ne font pas obstacle à ce que l'autorité publique compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d'ouvrage soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu'une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné ;"Aux termes de ce considérant, l'Etat doit garantir une séparation fonctionnelle entre l'autorité publique qui instruit la demande d'autorisation et l'autorité qui émet un avis sur l'évaluation environnementale du projet. Il ne peut y avoir confusion des rôles.
La règle de la séparation fonctionnelle n'impose pas une séparation organique : l'administration peut, en son sein, comprendre à la fois un service qui instruit et un service qui émet un avis sur l'évaluation environnementale. La séparation fonctionnelle suppose toutefois que l' entité administrative qui sera chargée d'émettre l'avis de l'autorité environnementale "dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné."
environnementale. Pour certains projets, la règle de la séparation fonctionnelle n'est pas respectée. Le préfet de région peut être à la fois l'autorité qui instruit et l'autorité qui émet l'avis sur l'évaluation environnementale : En troisième lieu, le Conseil d'Etat met en évidence une carence de l'article 1er du décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 portant réforme de l'autorité
"7. Considérant, que ce même 1° de l'article 1er du décret attaqué a cependant maintenu, au nouveau IV du même article R. 122-6 du code de l'environnement, la désignation du préfet de région sur le territoire de laquelle le projet de travaux, d'ouvrage ou d'aménagement doit être réalisé, en qualité d'autorité compétente de l'Etat en matière d'environnement, pour tous les projets autres que ceux pour lesquels une autre autorité est désignée par les I, II et III du même article ; que pour autant, ni le décret attaqué, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire n'a prévu de dispositif propre à garantir que, dans les cas où le préfet de région est compétent pour autoriser le projet, en particulier lorsqu'il agit en sa qualité de préfet du département où se trouve le chef-lieu de la région en vertu de l'article 7 du décret précité du 29 avril 2004, ou dans les cas où il est en charge de l'élaboration ou de la conduite du projet au niveau local, la compétence consultative en matière environnementale soit exercée par une entité interne disposant d'une autonomie réelle à son égard, conformément aux exigences rappelées au point 5 ; que, ce faisant, les dispositions du 1° de l'article 1er du décret attaqué ont méconnu les exigences découlant du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 ; qu'elles doivent donc être annulées en tant que l'article R. 122-6 du code de l'environnement qu'elles modifient conserve au préfet de région la compétence pour procéder à l'évaluation environnementale de certains projets ;"
Ainsi, l'article 1er du décret du 28 avril 2016 a illégalement prévu que le préfet de région peut, pour certains projets, être à la fois l'autorité qui instruit une demande d'autorisation et l'autorité qui émet un avis sur l'évaluation environnementale dudit projet. Cet article 1er est donc annulé en tant qu'il maintient cette confusion des rôles et viole la règle de la séparation fonctionnelle.
B) Par une décision n°407601 datée du 28 décembre 2017, le Conseil d'Etat a annulé "le 11° et le 27° de l'article 1er du décret du 11 août 2016 sont annulés respectivement en tant qu'il maintient, au IV de l'article R. 122-6 du code de l'environnement, et en tant qu'il prévoit, à l'article R. 122-27 du même code, la désignation du préfet de région en qualité d'autorité environnementale."
Les deux dispositions annulées sont donc relatives :
- au IV de l'article R.122-6 du code de l'environnement, déjà concerné par la décision du Conseil d'Etat datée du 6 décembre 2018 ;
- à l'article R. 122-27 du même code qui organise la une "procédure d'évaluation environnementale commune" avec "autorité environnementale unique". Pour cette procédure, le préfet de région peut être à la fois l'autorité qui instruit et l'autorité environnementale.
II. La portée des décisions du 6 et du 28 décembre 2017A la suite de ces deux décisions du Conseil d'Etat, il appartient à l'Etat - appelé à modifier la rédaction du IV de l'article R.122-6 du code de l'environnement - et au juge administratif d'en préciser la portée.
Nous n'émettrons ici que quelques hypothèses. Ce qui ne saurait remplacer une analyse juridique cas par cas de chaque décision administrative dont la légalité est susceptible d'être mise en cause pour avoir été adoptée à la suite d'un avis de l'autorité environnementale émis de manière irrégulière.
En premier lieu, il convient de rappeler que l'annulation d'une disposition réglementaire n'a pas automatiquement pour conséquence l'annulation des décisions individuelles définitives prises sur son fondement.
Ainsi, à la suite de ces deux arrêts du Conseil d'Etat, les décisions prises au terme d'une procédure prévoyant l'intervention de l'autorité environnementale ne sont pas toutes devenues automatiquement illégales et susceptibles d'être annulées.
A notre sens, un avis de l'autorité environnementale n'est irrégulier que dans la mesure où l'autorité qui instruit est la même que l'autorité qui rend l'avis de l'autorité environnementale. Si ces deux fonctions n'ont pas été exercées par une même personne : la règle de la séparation fonctionnelle n'est en principe pas violé.
En deuxième lieu, parmi les décisions de refus ou d'octroi d'autorisation intervenues à la suite d'un avis de l'autorité environnementale il convient de distinguer deux hypothèses :
- soit la décision est intervenue à la suite d'un avis irrégulier de l'avis autorité environnementale (violation de la règle de la séparation fonctionnelle) : sa légalité pourra en effet être mise en cause si le délai de recours à son encontre est encore ouvert.
Dans cette hypothèse, la décision administrative ne pourra être remise en cause que si elle n'est pas devenue définitive (délai de recours ou de retrait expiré). En cas de recours, il conviendra d'étudier les possibilités de régularisation de la décision, a fortiori si aucun autre moyen (motif) n'est susceptible de justifier son annulation.
- soit la décision est intervenue à la suite d'un avis régulier de l'avis de l'autorité environnementale. Dans cette hypothèse, la décision administrative ne devrait pas, à notre sens, pouvoir être remise en cause.
Arnaud Gossement
Avocat associé - Cabinet Gossement Avocats
A lire également :
Note du 30 juin 2015 sur l'arrêt rendu le 26 juin 2015 par le Conseil d'EtatNote du 19 octobre 2015 sur le projet de décretNote du 19 juin 2013 sur l'arrêt "Seaport" de la Cour de justice de l'Union européenne