Traditionnellement quand on commence à s'intéresser aux dividendes, on fait ce que la plupart des gens font: on recherche les titres qui en paient le plus. A priori ça paraît logique. Mais les investisseurs avisés savent que cette démarche est risquée et contre-productive, car les sociétés qui distribuent de juteux dividendes par rapport au cours de l'action sont très souvent en difficulté. Il y a donc de grandes chances que le revenu pour lequel on a acheté un titre soit diminué, voire carrément supprimé.
Cette constatation faite, les investisseurs orientés dividendes se tournent alors vers une approche qui a fait ses preuves : les titres qui paient des dividendes un peu moins élevés, mais qui progressent sur une base régulière, en principe chaque année. Cette stratégie fonctionne bien car elle oblige de se focaliser sur des sociétés qui sont rentables sur le long terme. Ces entreprises possèdent certaines caractéristiques qui leur permettent de produire en abondance des flux de trésorerie.
Ceci étant dit, il existe aussi passablement de sociétés bien gérées qui savent comment générer beaucoup de free cash flow et qui ne paient pas ou peu de dividendes. L'exemple le plus connu est sans aucun doute Berkshire Hathaway, la holding de Warren Buffett. L'argent frais qui reste dans les caisses peut permettre à ces entreprises de financer leur expansion, rembourser la dette ou racheter des actions. Le dividende n'est qu'un des nombreux choix à disposition qu'ont les dirigeants pour créer de la valeur pour les propriétaires.
On peut décomposer l'univers des titres payeurs de dividendes de manière grossière en trois catégories :
- Ceux qui affichent un ratio de distribution supérieur à 2/3. C'est typiquement la catégorie des hauts rendements chers payés et/ou risqués. La plupart du temps ces titres semblent bon marché à cause de leur rendement en dividende attractif, alors que le cours est en fait élevé par rapport aux bénéfices, au free cash flow, aux ventes et/ou aux actifs. Le potentiel de croissance du dividende est faible (il y a même des chances qu'il diminue). Swisscom est un bon exemple de ce type d'entreprise.
- Ceux qui affichent un ratio de distribution compris entre 1/3 et 2/3. On entre ici dans un monde bien connu des investisseurs orientés dividendes croissants. Les distributions sont plutôt dans la moyenne du marché. Comme elles ne sont pas excessives, elles offrent aux entreprises une certaine marge de sécurité, ce qui leur évite de devoir les abaisser ou les suspendre en cas de baisse des bénéfices. Mieux : si les liquidités générées sont suffisantes, elles peuvent même les augmenter chaque année. Allianz est un bon exemple de ce type d'entreprise.
- Ceux enfin qui affichent un ratio de distribution inférieur à 1/3. Ces sociétés paient peu, très peu, voir carrément aucun dividende. Les raisons sont multiples. L'entreprise est peut être en pleine croissance et nécessite des liquidités pour financer son expansion, de manière organique ou par des acquisitions. Elle peut aussi avoir la volonté d'assainir ses dettes. Ou alors elle a décidé de racheter ses propres actions. Parfois c'est un choix de nature fiscale. Souvent enfin, c'est un mix de tout ça. Le potentiel de croissance du dividende est très important. On a déjà cité Berkshire Hathaway comme exemple d'entreprise qui ne paie aucun dividende, on peut aussi parler de Mory Industries qui paie des distributions très modestes et qui est un bon exemple de ce genre de d'entreprise.
Mais quel est l'intérêt des titres qui appartiennent à la troisième catégorie pour un investisseur orienté revenus ? Il devrait en effet a priori plutôt essayer de maximiser les dividendes qu'il reçoit de ses actions.
Le grand avantage c'est que souvent ces titres sont moins chers et moins risqués que les autres. La formule ratio de distribution = rendement * PER nous indique en effet que le ratio de distribution est proportionnel au PER (prix par rapport aux bénéfices), pour un rendement constant. Les titres avec de faibles ratios de distribution possèdent donc non seulement une marge de sécurité par rapport aux bénéfices pour pouvoir assurer et même augmenter leur dividende dans futur, mais en plus ils se négocient souvent à des PER plus abordables que ceux des autres catégories.
A titre d'illustration, parmi les entreprises à travers le monde qui paient des dividendes et qui se négocient actuellement avec un PER inférieur à 15 :
- 58.8% ont un ratio de distribution inférieur à 1/3 ;
- 27.8% ont un ratio de distribution compris entre 1/3 et 2/3;
- 9.2% ont un ratio de distribution compris entre 2/3 et 100%
- 4.2% ont un ratio de distribution supérieur à 100%.
Pourtant, dans le marché mondial des titres qui paient des dividendes, il n'y en a que 44% qui affichent en ce moment un ratio de distribution inférieur à 1/3. Les PER inférieurs à 15 sont donc surreprésentés parmi les sociétés qui paient moins du tiers de leurs bénéfices:
- 50.3% ont un PER inférieur à 15;
- 34.9% ont un PER entre 15 et 30;
- 14.8% ont un PER supérieur à 30.
A titre de comparaison, il y a moins de 40% des titres à travers le monde qui se négocient actuellement à un PER inférieur à 15.
Ces exemples nous prouvent que la théorie suggérant que les titres avec de faibles ratios de distribution sont moins chers que les autres se constate souvent dans la réalité. Bien entendu, il est possible de trouver des sociétés encore abordables dans les deux autres catégories, mais ça devient de plus en plus difficile, surtout après avoir encore appliqué des filtres qualitatifs. En écartant d'entrée des ratios de distribution modestes, on se prive malheureusement d'un choix très important.
Si les entreprises de cette catégorie parviennent en plus à créer de manière régulière et progressive des flux nets de trésorerie disponible, elles sont alors des candidates pour devenir plus tard des payeuses de dividendes croissants généreux. Lorsqu'elles auront fini en effet d'amortir leur dette ou de financer leur expansion, elles pourront récompenser leurs actionnaires en monnaies sonnantes et trébuchantes.
Acheter ces entreprises, c'est faire un pari sur de juteux dividendes futurs. Dans le pire des cas, même si cela devait tarder, la capacité de la société à générer du free cash flow et donc financer son expansion, racheter ses actions, etc. se traduirait de toute façon en valeur pour l'actionnaire, par une augmentation du cours de l'action. Pour les investisseurs qui ont la chance de résider en Suisse, c'est également une opportunité puisque les plus-values boursières ne sont pas taxées.