Pendant que la presse essaie d’occuper les esprits avec les petits borborygmes de Wauquiez qui visent à faire croire qu’une opposition de droite existerait encore en France, des informations vraiment pertinentes sont rapidement (et probablement volontairement) passées en arrière-plan. J’en veux pour preuve le peu de cas qui fut fait du rapport Spinetta qui aura nettement moins défrayé la chronique que les récentes guignolades des politiciens.
Pourtant, il y a matière à écrire tant ce fameux rapport contient de petites phrases à même de déclencher un joli prurit syndical.
Il faut dire que le sujet – la réforme de la SNCF !- est particulièrement propice à provoquer des crises internes à cette entreprise et externes au niveau de tout le pays. Quant au rapport, composé de deux parties, l’une consacrée au constat, l’autre aux recommandations, il ne ménage guère la pauvre société publique en dressant un bilan sans concession de la gouvernance actuelle, jugée assez clairement déplorable pour qui sait lire entre les lignes, ainsi qu’une analyse de sa situation économique qui serait dramatique si elle n’était pas déjà connue de tous : un coût stratosphérique pour un réseau nettement moins utilisé que chez ses voisins, un coût par passager transporté difficilement justifiable, nombre de petites lignes dramatiquement pas rentables, une absence franchement inquiétante de transparence sur sa gestion et sur ses méthodes d’évaluation des coûts, dont il apparaît que beaucoup trop sont le résultat de fonctions transverses d’administration, en comparaison avec ses concurrentes.
Au chapitre des recommandations, Spinetta propose par exemple d’abandonner les petites lignes coûteuses et les dessertes inutiles car fréquentées par un nombre trop faibles de clients, de diriger l’essentiel des investissements sur les voies fréquentées pour en améliorer la sécurité ou de recentrer les lignes à grandes vitesses sur les trajets de trois heures ou moins là où la concurrence avec l’avion reste favorable au train.
Notons que la partie « fret SNCF » n’est pas oublié avec de nombreuses recommandations pour revenir à la fois à l’efficacité opérationnelle (vaste programme !) et la rentabilité financière (de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace !).
Inévitablement, devant cette liste de recommandations musclées, on pouvait s’attendre à des grognements plus ou moins gutturaux de la part de tout le personnel de la société concernée, habitué à l’immobilisme le plus bétonné. Il faudra y ajouter le remarquable travail de sape d’une partie de la classe journalistique qui ne trouve rien de mieux à faire qu’à – par exemple ici – agiter le spectre de la disparition du statut de cheminot pour déclencher le courroux syndical (quand bien même à peu près rien du statut n’est touché, comme la recommandation 33 en p.98 du rapport le laisse clairement entendre).
Il fallait de toute façon s’attendre à de la mauvaise humeur pour cette vieille dame incontinente des sous des autres. Mauvaise humeur qu’on verra probablement cristalliser sous la forme d’une de ces grèves dont la société a le secret, même si Papy Pépy, montrant une délicieuse déconnexion de la réalité, n’y croit pas. Apparemment, tout le monde ne partage pas son avis.
Bref : les syndicats sortent d’ores et déjà les griffes ; la direction a clairement choisi l’aveuglement ; le gouvernement ne pourra que tenter de ménager la chèvre qui gréviculte à fond et le chou qui continue de grossir sans se préoccuper de la trajectoire délétère prise par l’entreprise.
Culturellement, toute réforme et toute ouverture à la concurrence sont freinées des quatre fers par une entreprise si longtemps en situation de monopole qu’elle en a complètement oublié sa raison d’être, transporter correctement des clients (et non des usagés) d’un point A au point B ; au lieu de s’y préparer, elle renâcle, elle psychose, elle s’interdit même d’y penser, montrant assez clairement ce qu’on peut faire de pire en matière de sclérose industrielle. À ce titre, la comparaison de la France avec d’autres pays, où pourtant la concurrence règne, est dévastatrice.
Et si la SNCF, ce sont des douzaines de TGV, des milliers de kilomètres de lignes, des millions de passagers trimbalés tous les ans, c’est tout aussi concrètement et plus à propos,
- des accidents ferroviaires graves soit par incurie, soit par une culture de plus en plus relaxe de la sécurité,
- des dettes qui s’empilent un peu partout, les lignes ultra-rentables ne parvenant plus à éponger les pertes abyssalles partout ailleurs,
- des grèves récurrentes et systématiques avec des revendications déconnectées de la réalité de terrain vécue par les Français,
- un service qui, même lorsqu’il fonctionne « normalement » (c’est à dire sans la grève, sans accident mais en produisant quand même des dettes), empile les retards et démontre tous les jours une dégradation globale des prestations tant en quantité qu’en qualité.
Au centre du trio direction, syndicats et gouvernement, tous complices de cette gabegie lamentable qui dure depuis des douzaines d’années, on trouve le contribuable dont tout le monde se fiche presque ouvertement, qui finance ces pertes, ces transports médiocres, ces infrastructures mal entretenues, ces services dégradés, ces retards pléthoriques.
Selon toute vraisemblance, ce contribuable – qui a déjà financé le rapport Spinetta – devra aussi financer la prochaine grève qui se profile, le prochain bras de fer qui s’annonce entre les salariés de l’entreprise publique, sa direction et le gouvernement, et devra se contenter du bricolage qui ressortira de la lutte qu’on sait déjà âpre, tant est faible la probabilité qu’un peu de courage apparaisse au sein du gouvernement.
Forcément, tout ceci va très bien se passer.
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