Du 3 mars au 14 avril 2018
http://www.henrichartier.comD'une première visite revient le souvenir d'un espace encombré tous azimuts de peinture dans un joyeux capharnaüm où le dessin et la couleur multiplient les jeux d'entrelacs, de doublons et d'échos. Comme si la peinture avait précédé l'installation du peintre et que sa tâche était sinon d'y mettre de l'ordre du moins d'en informer tout un monde d'images palimpsestes qui prennent sens au fil du temps, à l'usage de son regard, sans préalable aucun. L'art de Guillaume Lebelle est requis par quelque chose de tonique qui confère à son oeuvre une rare vitalité. Une énergie qui trouve notamment son origine dans la liberté exemplaire de certains de ses aînés, comme Joan Mitchell, Sam Francis ou James Bishop, dont il a eu tout le loisir de se nourrir à l'époque où il a été découvert par Jean Fournier. Il y a du moins dans son travail une même rage expressive qui fait fi de toute doxa particulière pour laisser place au surgissement d'événements purement plastiques que l'artiste, s'il ne les anticipe pas, s'applique à établir dans des relations sensibles pour instruire ici un espace, là un rythme, là encore un silence.
Guillaume Lebelle cultive l'art du hasard et de la nécessité. Il se laisse volontiers porter par les aléas du quotidien, attentif à tout ce qui fait signe, toujours prompt à y répliquer, à réagir aux situations qui s'offrent à lui. Comme s'il avait l'irrépressible besoin d'y trouver sa place. Visite-t-il une exposition ? Il ne peut résister à l'envie de vouloir marquer sa présence par une intervention, aussi bégnine soit-elle, en y introduisant un élément et en photographiant la situation ainsi créée. Le principe d'addition est au coeur même de sa démarche qu'il énonce au détour d'une conversation, sans l'avoir nullement prémédité, par une formule aussi lapidaire que : " Ça plus ça vaut mieux que ça et ça, pris indépendamment ", signifiant par là qu'une oeuvre s'informe toujours d'une somme, d'accumulation, de strates. Rapport à la mémoire, sans doute.
Il en est ainsi pour celui qui découvre l'atelier du peintre pour la première fois. L'artiste - qui y dispose de grands espaces - travaille plusieurs oeuvres en même temps dans un tel fourmillement qu'il n'est pas toujours évident d'y déceler leur degré d'avancement. D'autant qu'il n'est pas toujours facile de distinguer entre celles qui sont en cours et celles qui sont achevées, que certaines y sont en suspens depuis de longs mois, voire une ou deux années et que d'autres ne seront peut-être jamais abouties. Peu importe. L'artiste n'est pas comptable de quoi que ce soit.
C'est qu'une fois de plus, vérification est faite que le luxe de la peinture est de prendre son temps et que celui du peintre est de lui donner le sien. Les peintures dessinées de Guillaume Lebelle - à moins qu'il ne s'agisse de dessins peints - s'offrent à voir comme les vecteurs d'une forme de vitalisme existentiel qui aspire à embrasser l'espace en tous sens. Elles actent une présence au monde, tout à la fois enjouée et panique, en conjuguant toutes sortes d'extrêmes, entre saturation et effraction, évasion et invasion, surface et profondeur.
Philippe Piguet
Critique d'art et commissaire d'exposition