Janua Vera. Histoires de mondes

Par Balndorn


Dans son recueil de nouvelles Janua Vera, l’écrivain Jean-Philippe Jaworski innove une autre manière de conter. Au lieu du sempiternel « Il était une fois », l’ouvrage se place sous le signe d’« Il était des fois ». À chaque nouvelle, son style ; et à chaque style, sa vision du monde.
Polyphonie stylistique
Janua Vera se remarque par ses variétés stylistiques. D’un bout à l’autre du recueil court un ensemble de tons, tous plus hétéroclites les uns que les autres. Si les deux premiers textes (Janua Vera, Montellefellóne) s’inscrivent dans la plus pure tradition épique, les suivants s’aventurent dans des espaces littéraires plus rares en littérature fantasy. Jour de guigne, fortement inspiré de Terry Pratchett, reprend au maître britannique le stéréotype du savant grotesque et l’écriture friande de jeux de mots ; Le Confidentexplore la part des ténèbres de ce monde, en donnant la voix à un prêtre du Desséché, le dieu des morts ; quant au Conte de Suzelle, sa description mi-réaliste mi-nostalgique d’une existence de paysanne a les accents flaubertiens d’Un cœur simple. L’éclatement stylistique a plusieurs enjeux. D’abord, changer le ton et le mode de narration évite de basculer dans l’ethnocentrisme. Aussi brillant soit-il, Le Seigneur des Anneaux, par exemple, s’accroche fermement au camp du Bien, et, par logique manichéenne, relègue le camp du Mal dans une Altérité absolue. À l’inverse, Janua Vera circule d’un acteur à l’autre du Vieux Royaume, et multiplie ainsi les regards portés sur ce territoire. Une offrande très précieusetacle toute une tradition de la fantasyen faisant des personnages principaux… des barbares (les Ouromands). Bien entendu, dès qu’ils prennent la parole, les prétendus « barbares » ne sont plus considérés en tant que tels.
Histoires d’histoires
D’un point de vue méta-littéraire, varier les styles a également pour but de présenter le Vieux Royaume comme un faisceau d’histoires. Purement imaginaire, l’espace fictionnel du Vieux Royaume ne doit son existence qu’à des espaces textuels. D’ailleurs, ceux-ci se font écho, s’interpénètrent. Personnages, lieux et histoires reviennent d’un texte à l’autre, pour mieux tisser la trame du monde virtuel. Janua Vera a un grand intérêt pour la fantasy, et toute littérature de l’imaginaire en général. À travers ce recueil, Jaworski fait la brillante démonstration que la fantasyest essentiellement un art de raconter des histoires d’histoires. De susciter le désir de toujours en savoir plus, de dépasser la narration livresque pour voir autrement le continent féérique.Plusieurs nouvelles mettent en abyme cette fonction sociale des histoires. Un Conte de Suzelle, dans lequel une paysanne rêve de revoir un Elfe ; Blandin, qui, dans Comment Blandin fut perdu, pourchasse indéfiniment le visage d’Alma ; Isembard, lui, traque la gloire dans Montefellóne. Autant de rêveurs qui, à l’instar des lecteurs, fantasment leur vie à travers celle des autres, et dont les désirs façonnent les conduites.
Janua Vera, de Jean-Philippe Jaworski, 2007
Maxime
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