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Rencontres

Par Antoine06 @AVissuzaine

Voilà une petite histoire dont les liens sont biens réels, au détail près que Gilles n'a jamais croisé Jean, en tout cas ce n'est pas sûr, sinon ça aurait pu. En tout cas, ils se sont véritablement trouvés au même endroit au même moment, d'où les digressions assumées de l'auteur que voici.
Pour brouiller (un peu) les pistes, j'ai aussi changé quelques prénoms.

"Gilles n'avait pas choisi de venir à Nantes. Il était niçois avec un nom alsacien, Nantes il s'en foutait, il faisait son service militaire, il avait dix-neuf ans. C'était le 28 janvier 1972.

Les bidasses avaient été réquisitionnés d'urgence autour de la cathédrale en flammes pour empêcher les badauds nantais de venir voir ce spectacle rougeoyant. La voute menaçait de s'effondrer dans un fracas de poutres et de pierres, cela provoquerait des étincelles qui s'envoleraient et retomberaient sur la foule. Sur place, le Maire, le préfet, l'évêque, les pompiers, la police, les services techniques s'agitaient en tous sens pour qu'un drame ne s'ajoute pas à celui en cours. Gilles demandait inlassablement aux passants de repartir mais rien n'y faisait. Ce gamin encore mineur n'était pas écouté. Il en avait marre, il avait froid, il était fatigué mais il devait être là, athée protégeant les nantais d'un lieu de culte.

Ce soir-là, Jean voulait prendre des photos de l'évènement. La photographie était sa passion. Il était venu avec son fils aîné. Gilles avait dit à Jean de ne pas passer, Jean avait insisté, Gilles avait donné l'itinéraire de contournement pour prendre des photos de l'autre côté, là où c'était autorisé. Jean avait sèchement répondu " Je ne vais tout de même pas passer par le Pont de Pirmil ! " Gilles n'avait pas répondu parce qu'il avait froid, qu'il était fatigué et qu'il était niçois avec un nom alsacien et par conséquent ignorait où pouvait bien se trouver le pont de Pirmil.

Premiers jours d'août 1976. Jean accueille Paul sur son terrain à quelques encablures de Nantes. Un terrain immense, surplombé d'un chalet, avec moult forêts propices à la construction de cabanes, une coulée en contrebas, une prairie qu'il a fallu sauver de l'invasion des genêts, une intrigante dalle de béton, une étonnante caravane recouverte de dosses de bois et un mystérieux trou, que certains nommeront " cratère ", d'autres " étang " puisqu'une légende raconte qu'une année de pluie diluvienne il fut empli d'eau le temps d'un jour entier puis de toute une nuit et un jour encore.

Paul est un homme dont l'âge fut toujours un mystère. Il a toujours semblé âgé toutes les années où il est venu chez Jean. Il boîtait depuis son retour de la guerre. Il y avait été blessé si grièvement que la Reine d'Angleterre le fit décorer à titre posthume.

Pourtant Paul, trente années après cet hommage faussement posthume, venait camper avec soixante gamins pour qu'ils aient des vacances, car Paul n'imaginait pas que ces mômes puissent traîner dans Nice les deux mois de l'été. Les premières années, Paul et ses campeurs venaient sans véhicule d'assistance, le ravitaillement se faisaient en carriole, les déplacements à pied.

Avec Paul, il y avait Mickaël. En 1976 il était le plus jeune. Puis avec le temps il avait eu quelques missions et lors du dernier camp, neuf ans plus tard, il était un des assistants de Paul. Mickaël et Jean, au fil des étés, avaient appris à se connaître et s'apprécier discrètement.

Quatre décennies plus tard. Jean et Paul ont rejoint le ciel, les étoiles ou la terre. Gilles est devenu un artisan reconnu, fervent défenseur de la langue niçoise et animateur une fois l'an d'une course pédestre de l'arrière-pays niçois.

Ce jour-là, Gilles remet le trophée de la victoire de la dite course à Quentin.

Ce jour-là, je sens la présence de Jean, que j'appelle plus coutumièrement Papa. Je ne sais pas pourquoi, mais je pense à lui comme cela m'arrive régulièrement mais ce jour-là rien ne me donne une raison de penser à lui. Je n'ai pas placé un bon mot dont il était l'auteur, personne n'a évoqué la photo argentique ou le trouble d'un gamin bidasse en Algérie, aucune femme ne m'a remercié de lui avoir tenu la porte. Pourtant je pense à lui. Comme ça.

Ce jour-là pourtant, je ne le saurais que quelques mois plus tard, nous étions trois dans la salle des fêtes à avoir connu ou croisé le chemin de Papa. Trois à l'avoir connu différemment.

J'étais là bien sûr. Gilles également puisque nous sommes amis depuis plusieurs années maintenant, mais Mickaël était là aussi. Il applaudissait Quentin le vainqueur de la course. C'est son fils."


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