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Littérature égyptienne (8) : a propos de la poésie amoureuse

Publié le 03 juillet 2008 par Rl1948

Les sagesses égyptiennes constituent, dans l'art littéraire des rives du Nil antique, le seul domaine pour lequel nous ayons mentions du nom de ceux qui les ont composées et de celui auquel elles étaient destinées.
Ce qui me paraît tout à fait logique dans la mesure où ces maximes, ces aphorismes étaient en fait des préceptes éducatifs, des "Enseignements" qu'un père sentant sa mort prochaine désirait transmettre à son fils aîné.
En revanche, pour la poésie amoureuse proprement dite, et dans l'état actuel de nos connaissances, nous ne disposons d'aucune indication de paternité.
La seule chose avérée la concernant, hormis le fait que tout un chacun la crédite d'excellence, c'est son origine et temporelle et géographique.
On peut en effet avancer, en fonction des documents actuellement exhumés lors des fouilles des ruines du village des "Ouvriers de la Tombe", à Deir el-Medineh, qu'elle fut rédigée aux XIX ème et XX
D'aucuns, égyptologues, philologues, estiment que ce laps de temps, finalement assez court de la poésie amoureuse eu égard à la longévité - qui se mesure en millénaires - de la civilisation égyptienne, s'explique par le fait qu'il s'agit d'une époque de grande opulence, de grande prospérité due aux conquêtes extra muros de quelques souverains conquérants et bellicistes et que, dans une telle atmosphère, l'inspiration lyrique semblerait plus propice.
Ce qui, il faut néanmoins le préciser, n'exclut nullement qu'il pourrait y avoir eu semblable poésie aux époques antérieures. Et confirmation de tel réquisit n'existera que par la mise au jour de nouveaux documents ... ème dynasties, à l'époque ramesside, soit aux 13
Mais, pour l'heure, il nous faut nous contenter de ceux retrouvés aux siècles derniers à Deir el-Medineh : quelques papyri et une abondance d'ostraca, ces tessons de poteries ou éclats de calcaire que l'on pouvait ramasser quasiment n'importe où et dont la surface, préférablement lisse, permettait que l'on y trace textes et dessins à l'aide, dans un premier temps, d'un morceau de jonc dont le bout, préalablement mâché, était trempé dans de l'encre; et, dans un deuxième temps, d'un calame au sens propre, c'est-à-dire un morceau de roseau taillé en biseau. ème et 12
Me permettez-vous, ami lecteur, d'ouvrir ici une petite parenthèse ? Simplement pour rappeler que c'est de ce terme "ostracon" (des ostraca, au pluriel) que dérive celui d'ostracisme désignant, dans l'Athènes antique, la décision prise par les membres de l'Assemblée de bannir un citoyen : c'était en effet sur un éclat de pierre, sur un ostracon, qu'ils indiquaient son nom. ème siècles avant notre ère.
Revenons à la poésie amoureuse du temps des Ramsès. D'emblée, et afin de dissiper tout malentendu à ce sujet, je tiens à préciser que ces textes, qu'ils soient copiés sur un papyrus ou qu'ils figurent sur un ostracon, ne sont pas rédigés en écriture hiéroglyphique, mais dans une cursive que l'on nomme hiératique.
Alors que les hiéroglyphes étaient traditionnellement réservés aux monuments ou aux objets et textes à destination religieuse, sacrée ( hieros, en grec, signifiant d'ailleurs "sacré"), les écritures cursives, parce qu'évidemment plus rapides, furent utilisées pour les documents administratifs, juridiques, ainsi que dans la vie quotidienne.
Dernière petite précision en la matière : à la différence des hiéroglyphes gravés ou peints, les écritures cursives se lisent toujours de droite à gauche.
Les chants d'amour, donc, comme je l'ai signifié plus haut, restent pour nous complètement anonymes : aucune signature, aucune précision onomastique. Mais, en définitive, peut-être est-ce cela qui en fait leur intemporalité ...
Ceci étant, quelques philologues, se basant sur la phraséologie récurrente de certains poèmes, voire sur le vocabulaire spécifique employé, veulent penser que beaucoup d'entre eux seraient le fruit de l'inspiration d'un seul et même auteur. Pure conjecture ...
Il me reste maintenant à évoquer le sempiternel problème de la traduction en français d'oeuvres en langue étrangère. Certes, et plus spécifiquement avec la langue égyptienne antique qui est une langue morte et dont la vocalisation nous est complètement perdue, tout traducteur, et même s'il se veut le plus proche possible du texte original, s'il se veut le plus littéral possible, apportera inévitablement sa "patte" pour nous restituer, sans dénaturer, mais néanmoins dans un langage accessible à nos oreilles modernes, l'âme même du poème.
Ainsi, quand l'Egyptien écrit : Il est fuyant en toute hâte, mon coeur, l'égyptologue préfère-t-il traduire par :
Dès lors, il est bien évident que les chants d'amour que je vous propose au fil des semaines, si le thème se révèle intemporel, reflètent et la langue et la sensibilité propres de celui ou celle qui les traduit. Il est prompt à se dérober ...
Je vous propose un premier exemple, simple. Dans le texte original, les termes sen et
En revanche, d'autres traducteurs préfèrent directement employer le sens réel de ces termes. Ainsi, lire : Mon Aimé émeut mon coeur par sa voix ne posera aucun problème à personne.
Les puristes rétorqueront qu'il suffit de connaître les conventions égyptiennes, et tout est résolu. Absolument d'accord, mais quand on sait que les deux termes peuvent tout aussi bien signifier, en fonction du contexte dans lequel ils se trouvent, non seulement frère et soeur, mais aussi oncle et tante, neveu et nièce, cousin et cousine, voire même être employés dans la correspondance diplomatique entre un pharaon et un souverain étranger, les choses deviennent un peu plus compliquées. senet désignent respectivement le frère et la soeur. Certains égyptologues s'en tenant à la traduction littérale pourraient semer le doute dans les esprits concernant d'éventuelles pratiques incestueuses avec un vers tel que :
Si nous n'avons aucune précision ni sur le ou les auteurs de ces poèmes, si nous sommes de même tout aussi démunis sur la personnalité des amants, nous pouvons néanmoins comprendre, à la lecture sous-jacente de ces textes, qu'ils font partie d'une classe sociale aisée, voire aristocratique, dans cette Egypte du Nouvel Empire : ils ont en effet une maison apparemment assez spacieuse, du personnel pour s'en occuper et un ou des chevaux, alors que le commun des mortels se contente d'un âne. Mon frère émeut mon coeur par sa voix, s'ils n'assortissaient pas leur traduction d'une note infrapaginale expliquant qu'il faut ici donner à frère et soeur le sens de amant et amante, aimé et aimée ...
Pour terminer, et en guise de deuxième exemple destiné à mettre en exergue les difficultés de la traduction, je vous propose maintenant, ami lecteur de redécouvrir un extrait de la première stance du Papyrus Chester Beatty I, celle-là même que je vous avais donné à lire le 15 juin dernier, mais cette fois traduite par trois égyptologues différents.
A vous d'éventuellement faire un choix ...
1. Version de l'égyptologue belge Pierre Gilbert (1949)
L'unique, la "soeur" sans égale,
Unique est l'Aimée, sans pareille
La belle inégalée,
Regarde-la, elle est comme Sothis
Quand elle reparaît au début de l'année heureuse,
Brillant merveilleusement, la peau blanche, le teint clair,
Les yeux charmants, ensorceleurs,
Que ses lèvres sont douces dès qu'elles parlent !
3. Et enfin, celle que vous connaissez déjà, due à l'égyptologue belge Philippe Derchain (1997)
Belle plus que toutes les autres,
La voir est comme (voir) l'étoile qui apparaît
Au début d'une bonne année.
Celle à la perfection lumineuse, à la complexion resplendissante,
Celle aux jolis yeux quand ils jettent un regard,
Suave est sa lèvre quand elle parle.
2. Version de l'égyptologue français Pascal Vernus (1992)


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