Nadine Zeintl (Eliza Doolittle), Michael Dangl (Henry Higgins)
© Christian POGO Zach
Pygmalion. une pièce de théâtre de George Bernard Shaw créée dans la capitale anglaise en 1914, est devenue mondialement connue grâce à la comédie musicale américaine que Frederick Loewe (musique) et Alan Jay Lerner (paroles et livret) en avaient tirées sous le titre My fair Lady. Elle fut jouée pour la première fois à Broadway le 15 mars 1956 avec Julie Andrews et Rex Harrison dans les rôles principaux, quasiment sans interruption jusqu'en 1962 (2717 représentations, un record pour l'époque), puis adaptée pour le cinéma en 1964 par le cinéaste américain George Cukor, avec Audrey Hepburn et le même Rex Harrison.
L'action se déroule à Londres à l'époque victorienne. Eliza Doolittle, une jeune fille aussi vulgaire que jolie issue des milieux populaires, gagne sa vie en faisant et vendant des bouquets de violettes. Sans véritable éducation, elle ne parle que le cockney, cet argot des bas-fonds londonien aux caractéristiques savoureuses, mais qui n'est compréhensible que par les Londoniens ou par les spécialistes en lexicologie anglaise et autres phonologues. Eliza vend ses fleurs aux habitués de Covent Garden, le prestigieux opéra installé près de ce qui était alors un marché de fruits et légumes. C'est là qu'elle rencontre accidentellement le professeur Henry Higgins qui voit en elle la possibilité de mettre en pratique ses théories linguistiques et d'en faire une femme distinguée.
La comédie musicale connut sa première en langue allemande à Berlin en 1961, le cockney disparaissant au profit du slang berlinois. Cette production fut reprise à Munich en 1962. Le Theater-am-Gärtnerplatz en donna sa propre version à partir de 1984 dans la mise en scène d'August Everding et la mit à l'affiche pour 234 représentations jusqu'en 2011.
Aujourd'hui Josef E. Köpplinger en propose une nouvelle mise en scène dans laquelle il remplace le berlinois par le bavarois, avec des effets d'une drôlerie inénarrable dans la meilleure tradition du meilleur théâtre populaire de la place munichoise.
A l'hippodrome d'Ascot
© Marie-Laure Briane
Pour cette nouvelle production, le Theater-am-Gärtnerplatz a mis les petits plats dans les grands, en soignant les décors et les costumes qui restituent parfaitement l'atmosphère de la capitale anglaise à l'époque victorienne. Rainer Sinell utilise avec ingéniosité les possibilités du plateau tournant pour présenter alternativement la façade de l'opéra londonien ou celle d'un pub à Tottenham Court, le marché de Covent Garden, le très mondain hippodrome d'Ascot ou la rue et le grand salon de la demeure du professeur Higgins. Avec des détails amusants: ainsi des deux affiches signalant qu'on donne Lohengrin à l'opéra ou de la décoration de l'intérieur cossu du professeur Higgins, dont le luxueux chic anglais est parfaitement rendu: un grand salon avec mezzanine avec ses fauteuils chesterfield en cuir, aux murs couverts de bibliothèques et dont la décoration, dessins et instruments, renvoie à la passion linguistique de l'éminent phonologiste propriétaire des lieux. Les costumes de Marie-Luise Walek sont eux aussi particulièrement réussis: classiques pour le nombreux personnel de soubrettes et de serviteurs, populaires pour les maraîchers de Covent Garden, huppés et très stylés pour les tenues mondaines des courses d'Ascot, ce rendez-vous suprême des classes supérieures britanniques, évolutifs pour les tenues d'Eliza Doolittle dont Marie-Luise Walek rend parfaitement la métamorphose progressive d'une fille du peuple devenant lady.
Friedrich von Thun (Oberst Pickering), Nadine Zeintl (Eliza Doolittle),
Michael Dangl (Professor Henry Higgins) © Marie-Laure Briane
Josef E. Köpplinger, grand spécialiste de l'opérette et de la comédie musicale, réussit à nouveau une mise en scène de légende, avec un art consommé du tableau. A plusieurs reprises, il nous donne à voir des arrêts sur image superbement composés qui tirent leurs effets à la fois de la beauté de l'ensemble et du souci des détails porteurs de signification. A l'art du tableau correspond celui du placement des personnages et de leurs déplacements, et tout cela est baigné dans des lumières ingénieuses ( travail combiné du metteur en scène et de Michael Heidinger), rendant bien les atmosphères. Les mouvements s'enchaînent comme s'ils coulaient de source, accompagnés des chorégraphies entraînantes de Karl Alfred Schneider interprétées par les superbes danseurs de la troupe. Un spectacle parfait qui est le résultat du travail d'une équipe soudée.
La musique et l'interprétation sont à l'aune de cette mise en scène si réussie. Dès l'ouverture, on se rend compte que la direction musicale d'Andreas Kowalewitz et l'orchestre vont nous offrir une grande soirée, ils font couler les flots joyeux de cette musique avec une telle perfection et un tel entrain que le public ne tient presque plus en place. Les choeurs entraînés par Felix Meybier participent de la même excellence. Et puis, au coeur de la production, il y a les incomparables prestations de Nadine Zeintl et de Michael Dangl et de l'ensemble des interprètes. Fabuleuse Eliza de Nadine Zeintl qui rend avec un art consommé de la scène et du chant la mue de la chrysalide populacière en femme du monde. Nadine Zeintl donne une interprétation à mourir de rire, même pour le public qui ne comprend pas ou peu le bavarois. La chanteuse brûle les planches avec une fulgurance, une gouaille et un charisme rares. Il faut savoir que la chanteuse est d'origine autrichienne pour se rendre compte de la performance réalisée pour jouer son personnage de fille du peuple bavaroise. Michael Dangl compose avec un talent consommé le personnage du professeur Higgins, pendant exact et opposé de la personnalité d'Eliza: égoïste professionnel, il brille autant par l'intellect que par l'absence de coeur et la goujaterie. Toute la troupe est à l'aune des protagonistes, avec une mention particulière pour la Mrs. Higgins de Cornelia Froboess ,le père Doolittle de Robert Meyer et le délicieux Freddy de Maximilian Mayer.
Le public munichois était en transe extatique à l'issue de la première jouée par une troupe aussi professionnelle qu'enthousiaste, et mesure sans aucun doute compte son bonheur de pouvoir vivre les soirées magiques du Theater-am-Gärtnerplatz, à l'ère du showbiz industrialisé des comédies musicales si bien huilées et qui tournent sur la planète avec leurs produits parfaitement polis et fort souvent aseptisés.
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