Chère Françoise,
J'apprends que vous êtes, puisque c'est ainsi qu'on dit, morte... et j'ai un peu de mal à le croire. Du même coup, on ne dit que vous aviez 87 ans, et c'est encore plus difficile à imaginer, après ces décennies pendant lesquelles nous ne nous étions pas vus.
Vous avez été pour beaucoup dans ce que je suis devenu, au fond, et je vous remercie pour l'accueil que vous aviez réservé à un jeune bibliothécaire balbutiant quand je suis venu chez vous, la première fois, pour parler, je crois, de L'écrivain ou la sixième roue du carrosse, une petite pochade très amusante. Même si ce n'était pas aussi éblouissant que vos premiers livres, que j'avais tous lus avant de venir à Paris. Le petit caillou, Des dimanches et des dimanches, Aux lèvres pour que j'aie moins soif (celui-là, j'avais eu bien du mal à le trouver, merci au prêt entre bibliothèques qui fonctionnait en Belgique), Ecoute, Et alors les morts pleureront... J'étais fasciné.
Vous m'avez tout autant séduit. Tout ce que vous saviez de la littérature et du milieu dans lequel s'épanouissent, avec plus ou moins de bonheur, les écrivains, vous me l'avez dit. Une ouverture à nulle autre pareille.
Et puis, après plus d'une heure de conversation, car ce n'était plus, depuis les premières minutes, l'interview que je pensais faire, vous m'avez invité à venir, le lendemain soir, partager une soupe en famille. La vôtre, de famille, ce qui n'était pas rien. Je connaissais un peu, mais pas très bien, l'oeuvre musicale de Iannis - je savais qu'elle était immense, en tout cas, Mâkhi, votre fille, n'était pas encore la plasticienne qu'elle est devenue ensuite. Nous n'avons pas mangé qu'une soupe, nous avons aussi bu du bon vin, nous avons bavardé, tous les quatre, beaucoup ri.
C'était bien.
Merci encore.