Néonicotinoïdes, de quoi s'agit-il ?
Les insecticides néonicotinoïdes, présents sur le marché depuis 1994, comptent aujourd'hui sept molécules autorisées : l'imidaclopride, le thiaméthoxam, la clothianidine, le thiaclopride, l'acétamipride, le dinotéfurane et le nitenpyrame. Pour trois d'entre elles seulement (imidaclopride, clothianidine et thiaméthoxam), des restrictions d'usage ont été prises fin 2013 par la Commission européenne sur les seules cultures attractives pour les abeilles. Tous ces insecticides sont des neurotoxiques : ils agissent sur le système nerveux central des insectes et des autres organismes vivants non ciblés. Ils sont également systémiques, c'est-à-dire qu'ils circulent dans la sève des plantes, jusque dans les parties florales telles que le pollen et le nectar. Ils sont tous dangereux pour l'abeille au stade du semis, de la floraison mais aussi lors du phénomène de guttation (transpiration des plantes et source importante d'eau pour les insectes).
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Des millions d'hectares contaminés
Au minimum 6 millions d'hectares sont traités chaque année en France aux néonicotinoïdes, avec les seules cultures de céréales à paille (3 millions d'hectares traités avec ces molécules), colza (1,5 million d'hectares), maïs (1 million d'hectares) et betterave (390 000 hectares), selon l'enquête publiée par l'UNAF le 19 octobre 2017. S'ajoutent à ces surfaces celles concernées en arboriculture, viticulture, culture de pommes de terre, maraichage, prairies, traitement des conifères, cultures ornementales et florales, etc. La contamination par ces molécules est généralisée à l'ensemble du territoire français, même les zones de montagne n'y échappent pas, du fait des traitements des conifères par exemple.
Pour comparaison, l'agriculture biologique est cultivée sur - seulement - 1, 8 million d'hectares (chiffres au 30 juin 2017) en France.
Colza : une contamination " inattendue et omniprésente "
Quelques restrictions d'usage ont été prises, mais elles sont totalement insuffisantes (voir encadré). Elles ne tiennent pas compte de la persistance des molécules dans le sol et de leur absorption par les cultures suivantes. Exemple : sur une même parcelle se suivent fréquemment pendant trois ans la culture du blé, celle de l'orge puis celle de colza et ainsi de suite (c'est ce qu'on appelle une rotation). Après deux cultures de blé et d'orge traitées à l'imidaclopride (ce qui est fréquent), les reliquats d'insecticide dans le sol sont absorbés par la culture suivante de colza. Une étude de 2015 a révélé une contamination à l'imidaclopride "inattendue et omniprésente" des champs de colza testés. Ils avaient été cultivés après des céréales à paille dont les semences étaient enrobées de Gaucho, un insecticide à base d'imidaclopride. Le problème est identique lorsque le colza est cultivé après des betteraves dont 99% des semences sont enrobées d'un néonicotinoïde.
Les contaminations ne sont pas qu'involontaires : les néonicotinoïdes sont autorisés en épandages sur de nombreuses plantes et 100% des cultures de colza en sont arrosées, selon les organisations professionnelles agricoles. Or les abeilles sont très attirées par les fleurs de colza, d'où leur contamination généralisée.
Le poids des lobbies de l'agrochimie
Malgré leur dangerosité, ces molécules bénéficient du traitement de faveur des traitements de semences car ils sont surtout utilisés en enrobage de semences. Exemple : le programme gouvernemental Ecophyto 1 qui visait à réduire la dépendance française aux pesticides, les épargnait complètement. La nouvelle mouture Ecophyto 2 ne les accable pas beaucoup malgré un usage préventif et systématique contraire à une directive européenne. Ils sont encore exemptés du tout nouveau programme de Certificat d'économie de produits phytosanitaires. L'Unaf se demande si ce traitement de faveur ne serait pas lié à l'influence des lobbies de l'agrochimie dans le secteur des semences. Car à la suite de rachats d'entreprises semencières depuis les années 90, des poids lourds de l'agrochimie figurent dans le Top 10 des semenciers (Monsanto, Syngenta, Pionner en 2013/2014).
Pourquoi l'usage des néonicotinoïdes continue d'augmenter
Plus grave : les agriculteurs n'ont plus guère le choix que d'acheter des semences enrobées, même s'ils sont conscients des risques qu'ils font courir à l'environnement et à la faune sauvage avec les néonicotinoïdes. Les semences sont vendues déjà enrobées et les agriculteurs ne peuvent pas choisir les traitements d'enrobage, si ce n'est pour quelques cultures qu'ils ont le droit de reproduire (blé, orge, avoine...). C'est pourquoi les quantités de néonicotinoïdes utilisés en France continuent de croitre malgré les quelques restrictions d'usage, comme le montre le tableau ci-dessus.
De l'abeille à l'être humain, une contamination générale
Si les abeilles sont contaminées par les néonicotinoïdes, on les retrouve également dans l'eau, l'alimentation et le corps humain. En 2015, l'imidaclopride est entrée dans le Top 15 des substances les plus détectées dans les cours d'eau, selon le ministère de l'Ecologie. Une étude d'octobre 2017 révèle que les trois quarts des miels en contiennent. D'autres études ont montré que les néonicotinoïdes sont également présents dans les aliments et dans les urines des humains.
Ces produits sont reconnus pour leur dangerosité et pas seulement pour les insectes. L'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a estimé en 2013 que l'acétamipride et l'imidaclopride "peuvent affecter de façon défavorable le développement des neurones et des structures cérébrales associées à des fonctions telles que l'apprentissage et la mémoire" chez l'être humain. Elle a conclu que certains des niveaux recommandés d'exposition à ces molécules "pourraient ne pas constituer une protection suffisante pour éviter toute neurotoxicité développementale et qu'ils devraient être abaissés".
Les néonicotinoïdes doivent être interdits sur les cultures en septembre 2018 même si des dérogations sont possibles jusqu'en 2020. Une mesure déjà sabordée par l'autorisation d'une nouvelle molécule néonicotinoïde de remplacement, le Sulfoxaflor.
Anne-Françoise Roger