Biocoop : "il faut un vrai plan d'installation d'agriculteurs bio de proximité"

Publié le 13 février 2018 par Bioaddict @bioaddict
20% de bio dans les cantines publiques d'ici 2022 : c'est ce que prévoit le projet de loi rédigé par le gouvernement à l'issue des Etats généraux de l'alimentation. Cet objectif va amplifier la demande. Alors que l'essor des ventes en magasins se poursuit. Interrogé sur l'avenir de l'agriculture biologique en France, Claude Gruffat, président de Biocoop, estime qu'un plan d'installation d'agriculteurs biologiques de proximité est nécessaire aujourd'hui. Chiffres à l'appui. ¤¤ " On aura besoin de 60 000 producteurs de proximité en bio de plus dans les cinq ans ", estime Claude Gruffat, invité de L'interview éco sur France Info en décembre 2017 OK
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Le projet de loi rédigé par le gouvernement à l'issue des Etats généraux de l'alimentation* prévoit que les cantines scolaires devront servir 20% de bio en 2022. Que pensez-vous de ce projet ?

Les décisions du gouvernement prévoient 20% de bio dans les cantines et 50% au total sous signes de qualité. C'est un signe positif. Cette mesure sera un accélérateur de conversions. Mais le gouvernement ne va pas assez loin. En effet, l'offre en Bio de circuits courts a du mal à suivre. Elle est trop faible aujourd'hui. Si on ne la développe pas, on va augmenter les importations. Les cantines, les magasins spécialisés bio ont du mal à trouver une offre locale, de proximité.

Chez Biocoop, nous travaillons avec plus de 6 000 producteurs de proximité. Il nous en faudra 14 000 dans 5 ans. On estime qu'il faudra 60 000 agriculteurs bio supplémentaires en France dans les 6 à 7 ans pour satisfaire la demande. Mais je ne les vois pas s'installer. Il y a peu d'installations. Et les conversions ne suffisent pas. Chaque année, 25 000 agriculteurs partent en retraite. Ces départs alimentent surtout l'agrandissement des fermes existantes.

Que faut-il faire aujourd'hui pour satisfaire la demande en production biologique ?

Il faudrait une feuille de route de l'agriculture pour favoriser des installations d'agriculteurs biologiques en nombre. Il faut un vrai plan de l'installation en France. Il y a seulement 12 000 installations par an. La différence des surfaces entre les départs et les installations pourraient être fléchée vers des installations en bio local. Une ambition importante dans ce sens permettra de satisfaire une demande croissante de jeunes néo ruraux qui souhaitent s'installer notamment en Bio. Pour cela, il faut également libérer des surfaces agricoles.

Ce plan doit être accompagné d'un autre plan pluriannuel pour organiser et regrouper l'offre locale et régionale. Les coopératives agricoles ont concentré l'offre au niveau national au cour des dernières décennies pour répondre à des marchés d'exportation. Il n'existe plus d'organisation locale. Il faut la créer pour répondre à une demande croissante de Bio et de local. Cette organisation, que l'on appelle la construction de filière et de mise en marché, est plus complexe en bio qu'en agriculture conventionnelle. Un éleveur de porc conventionnel, par exemple, pense production de porcs, c'est tout. Il va utiliser des aliments importés pour nourrir son élevage et la viande produite sera à son tour souvent exportée. Un éleveur de porc bio pense filière transversale, avec les céréales et les protéagineux à trouver pour son élevage à proximité de sa ferme, parce que l'organisation est locale. La filière commence là. Il pense également circuits courts et débouchés locaux.

Si l'agriculture biologique n'est pas bridée, pensez-vous que son développement sera important ?

L'Agence bio estime que l'on produit en France 70% des matières premières qui peuvent y être cultivées. Cela signifie que 30% sont importées, c'est environ 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires qui est perdu pour l'agriculture française.

En développant la production bio, la France pourrait encore vendre à sa porte pour 2 à 3 milliards d'euros de produits bio à des pays solvables prêts à acheter. Avec la bio, on pourrait réaliser 4 à 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires supplémentaires par an sans forcer, avec peu d'aides et une vraie valeur ajoutée. Mais étonnement, on ne s'en occupe pas. On ne regarde pas la nouvelle économie qui se développe. Le marché biologique n'est pas pris au sérieux par la profession. La politique agricole est verrouillée avec une résistance au changement qui est stupéfiante. La France s'enorgueillit d'un excédent de la balance commerciale agricole de 15 milliards d'euros. Mais l'agriculture reçoit environ 12 milliards d'euros d'aides directes. Si on y ajoute les aides à l'agroalimentaire, on dépasse probablement les 15 milliards d'euros. Le résultat est donc sans intérêt.

Pensez-vous que le nouveau règlement de l'agriculture biologique européen, qui prévoit notamment d'autoriser l'usage de certains produits chimiques, vise à favoriser le développement d'une production labellisée biologique en levant certaines contraintes ?

Le règlement bio européen cherche à alléger les cahiers de charges alors que l'on peut produire proprement en bio. Cela fonctionne, la démonstration a été faite. En allégeant le cahier des charges, on parvient à faire du conventionnel sans pesticide chimique. Le mode de production conventionnel n'est pas remis en question (intensif, course aux rendements, taille des fermes, etc). Mais si on dévoie la méthode, ça ne marchera pas. L'agriculture biologique est un modèle dans lequel tout est pensé : il n'y a pas de monoculture, la taille des fermes et des élevages est limitée, la rotation des cultures sur une parcelle est longue (jusqu'à 12 ans), etc.

Le règlement de l'agriculture biologique vise aussi à faciliter une étape de transition de l'agriculture chimique vers la bio. Depuis plus de 20 ans, l'image de l'agriculture conventionnelle en France en a pris un coup alors que la bio a pris du poids. Elle était citée comme modèle aux Etats généraux de l'alimentation. Mais il faut maintenir ce qui fait le succès de ce modèle.

Propos recueillis par Anne-Françoise Roger

Projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable