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Dans ma publication du 22 octobre dernier, je commentais l’affaire Weinstein, alors toute « fraîche », et faisais part de mon déchirement entre le bien-fondé de révélations libératrices pour la condition féminine, et les abus qui ne manqueraient pas de résulter de l’ouverture de cette boîte de Pandore.
Et de manière aussi prévisible qu’une inondation, le débordement a eu lieu.
Étrange débordement, puisqu’on sait déjà que malgré la pléthore de rumeurs et de fausses accusations, on est toujours très en dessous du nombre réel de cas authentiques qui mériteraient d’éclater et resteront pourtant toujours étouffés sous le couvercle de la pudibonderie et de la pression sociale.
On notera la superbe coïncidence qui vaut à Orelsan de récolter des lauriers aux Victoires de la musique, après avoir été poursuivi pour quelques chansons infâmes comme « Sale pute » et s’être vu absous par la justice au motif de « liberté de création artistique »….avec des attendus qui ignorent superbement les lois qui répriment l’incitation à la haine, qui constituaient pourtant le motif de la plainte. Lui, affirme... "qu'il plaisante".
Maintenant qu’on a un échantillon de la perspicacité de la justice en la matière, on peut réexaminer à cette lumière tout ce que nous apportent l’actualité, et surtout le buzz, sur ce sujet brûlant.
Depuis le mois d’octobre, le « père fondateur » Weinstein n’a toujours pas eu affaire à la justice. Elle s’est contentée d’ouvrir une enquête préliminaire, mais dans un pays où les juges sont élus et liés aux partis politiques, on hésite forcément à donner un coup de pied dans la fourmilière financière d’Hollywood.
Certes, quelques initiatives individuelles ont commencé à faire un peu de ménage, mais le principe d’un système auto-nettoyant privé du soutien d’une justice indépendante fait ressembler les purges davantage à des règlement de comptes qu’à des œuvres de salut public.
Notre belle actualité hexagonale se garde bien de nous raconter ce qui se passe dans d’autres pays.
Un article bien documenté du Figaro (ça arrive…) nous renseigne sur la perception du viol à travers le monde, mais se garde bien de nous parler d’exemple précis en matière d’accusation de personnages publics, artistiques ou politiques.
Dans notre étroit hexagone, l’accusation la plus « spectaculaire » est sans doute celle de Tariq Ramadan, dont les groupies restent si virulents qu’il a fallu placer l’une de ses victimes sous protection policière.
Cela fait toujours un peu sourire de voir un moraliste pris à son propre piège, même si la « morale » de Tariq Ramadan avait une géométrie très variable.
Interrogé sur l’excision, il considérait qu’on ne peut pas interdire « brutalement » une tradition si ancienne, et sur la lapidation des femmes, qu’on ne pouvait pas non plus l’interdire tout d'un coup, et qu’il lui semblait plus « sage » d’instaurer un simple moratoire sur cette pratique barbare, afin d’y réfléchir plus posément…
J’ai voulu trouver des dessins humoristiques sur le « cas Ramadan » mais ils sont tous de si mauvais goût que j’ai préféré y renoncer. C’est vrai qu’il n’est pas facile de rigoler sainement à propos du monsieur. Alors, comme sa photo, on ne l’a que trop vue, il restera à l’état de texte.
Il y a aussi le cas de Gérard Darmanin. Bien sûr, il y a la « présomption d’innocence » qui s’impose tant que la justice ne s’est pas prononcée, mais ça n’empêche pas de réfléchir.
Darmanin qui s’est illustré en politique comme assistant, puis directeur de campagne du malencontreux Christian Vanneste, celui qui, avec Christine Boutin, a été le plus souvent décoré sur le front de l’homophobie. On ne se prononcera pas sur les faits, - présomption d’innocence oblige -, tout en n’ignorant pas qu’il a été sollicité par la plaignante pour une « intervention politique », et que sa rencontre avec elle, sitôt sorti de sa permanence, est passée par un célèbre club libertin pour finir dans une chambre d’hôtel. L’instruction appréciera.
Revenons juste sur les prises de positions homophobes de l’individu, qui donnent une idée de son aptitude à retourner sa veste, puisqu’après en avoir été le parangon, il est entré aujourd’hui dans un gouvernement d’où l’homophobie est largement exclue.
Ses retournements de veste ne concernent d’ailleurs pas seulement ses prises de position homophobes : l’homme est capable d’avaler son mouchoir et d’accepter sans vergogne de devenir ministre et « faire carrière » – c’est le mot qui convient -au service d’un homme qu’il vilipendait peu de temps auparavant :
Alors je me dis qu’il est difficile de regarder comme sincère un homme qui fait si peu de cas de ses convictions et en change si facilement au gré des opportunités. Si ses prises de positions homophobes aujourd’hui regrettées étaient un cri primal, - ce que je crois -, ne cachent-elles pas chez le bonhomme un certain malaise en la matière ? On ne parle de son estomac que quand il vous brûle et des ses articulations que quand on a des rhumatismes… Alors, les gens qui parlent si fort de la sexualité des autres, surtout pour en dire du mal…
La suspicion d’un tel malaise personnel ne met-elle pas le personnage « en situation » d’être suspecté d’agression sexuelle ? Est-le hasard si « c’est tombé sur lui » ?
Je n'ai pas mis à l'ordre du jour de cet article le cynisme de Macron, qui a embauché Darmanin sans ignorer, -n'en doutons pas -, les antécédents du personnage.
Mon long itinéraire de militant contre l’homophobie m’a donné beaucoup à voir sur les coulisses non seulement de l’homophobie, mais de toutes les haines et incitations aux discriminations sexuelles.
Derrière elles se cache presque toujours un profond malaise, et l’expression publique des « détestations sexuelles » est en général une maladroite couverture que ces pseudo-moralistes tentent de jeter sur leurs propres turpitudes.
C’est au point qu’un site américain fait la liste détaillée de tous les homophobes qui se sont fait attraper avec la main dans la culotte d’un autre… Et elle est longue et sans cesse rallongée...
La liste comporte leurs titres, et l’athée que je suis y voit avec délectation le nombre de « Rev » (Révérend », « Msgr » (Monseigneur), « Bp » (bishop = évèque), et même un cardinal… qui ont propagé leurs saintes huiles avec un goupillon si peu ecclésiastique.
Mais pour rester dans le sujet, considérons aussi le nombre de shérifs, procureurs, députés et sénateurs qui ont bâti leur élection sur l'homophobie avant de se faire attraper de la manière la plus sotte qui soit.
La défense des droits, c’est une affaire politique. Les LGBT, en voulant défendre les leurs, les ont donc nécessairement placés sur l’échiquier politique. Et comme toute liberté individuelle, la liberté sexuelle – pas seulement LGBT -, est donc devenue un enjeu politique.
« L’homophobie – enjeu politique- est d’ailleurs actuellement l’un des sujets d’étude prioritaire des associations qui se préoccupent de droits de l’homme, et pas seulement LGBT. Un petit tour de planète démontre que le sort du droit des femmes et celui des homosexuels sont étroitement liés dans les pays où ils sont mis en cause. Jamais l’un sans l’autre. De là à déduire que les dictateurs sont des mal-baisés…
L’homophobie et le respect dû aux femmes sont devenus des munitions, des grenades, des boulettes explosives ou empoisonnées qu’on se jette à la figure comme une arme du conflit sans réfléchir qu’en usant d’arguments aussi bestiaux, on instrumentalise toutes les minorités concernées par ce droit devenu symbole, mais ravalé au rang d’outil.
Les réactionnaires de tous poils n’ont rien à foutre du droit des femmes ou des homosexuels si le fait de les traîner dans la boue au risque de provoquer des massacres peut leur faire gagner quelques voix et les hisser de quelques marches vers le trône du pouvoir.
Nous sommes pourtant des Hommes et des Femmes, mais entre leurs mains, nous ne sommes plus que des arguments, des munitions, des pions d’une effroyable partie de poker.