Critique de Ça ira (1) Fin de Louis, de Joël Pommerat, vu le 9 février 2018 au Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines
Avec Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Eric Feldman, Philippe Frécon, Yvain Juillard, Anthony Moreau, Ruth Olaizola, Gérard Potier, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu, Simon Verjans, Bogdan Zamfir, dans une mise en scène de Joël Pommerat
Ce n’est plus un secret aujourd’hui : j’ai découvert Joël Pommerat après tout le monde. Ma rencontre avec cet artiste date d’il y a moins d’un an, puisque je le découvrais à la Porte Saint-Martin avec Cendrillon. Aussitôt vu, aussitôt réalisée l’erreur d’avoir manqué tant de spectacle de cet homme de génie. Places prises dans la foulée pour son Pinocchio à la MC93, et pour ce fameux Ça ira de 4h30 dont tout le monde parlait, au Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines. Il m’aura fait aller loin, Monsieur Pommerat : du 93 au 78, je ne regrette pas un kilomètre parcouru pour découvrir ses spectacles. Je ne regrette pas d’avoir bravé la neige pour rencontrer son Louis XVI. La seule chose que je peux regretter aujourd’hui, c’est que la vie soit si courte et que je ne verrai probablement jamais Ça ira (228) Fin de François.
Le spectacle s’ouvre sur un conseil rassemblant le roi, son premier ministre en charge des finances, ainsi que des membres de la classe noble et de l’Église. Ils discutent de la crise économique, et des solutions qui s’offrent à eux. Face au refus des notables, un Parlement national des États Généraux va être convoqué. De l’élection des délégués aux élections des députés, de l’ouverture des États Généraux à sa formation en Assemblée Nationale, des négociations entre le tiers et la noblesse à l’abolition des privilèges, Joël Pommerat nous fait revivre cette période agitée de l’Histoire de France, qui a vu naître entre autres la Déclaration des Droits de l’Homme.
A vrai dire, je n’avais rien lu sur le spectacle. J’avais même un peu peur – vous savez, cette appréhension commune avant un spectacle aussi long. Je ne savais donc rien de la merveille qui m’attendait. Je ne pouvais même pas me douter de ce que j’allais vivre. Les mots seuls ne suffiront pas à décrire l’expérience unique de Ça ira. Je vais tenter modestement d’essayer de transmettre ce que j’ai vécu sur le moment, mais le mieux serait que vous quittiez tout de suite cette page pour chercher les tournées de ce spectacle. Pour comprendre, vraiment.
Il faut me prendre au mot lorsque je dis que Joël Pommerat nous fait revivre cette période. Je m’attendais à assister sagement à un spectacle historique retraçant le déroulement de la Révolution. Je ne pensais pas prendre part à l’Histoire de cette manière. Rapidement après l’ouverture du spectacle, on se retrouve au centre des États Généraux. Si le procédé étonne tout d’abord – qui est-ce qui applaudit ainsi en fond de salle ? – la fiction prend rapidement le pas sur le réel et nous voilà plongés en pleine année 1789. L’immersion est une grande réussite : me voici à applaudir aux déclarations de l’un, à huer un autre qui vient de prendre la parole. Je commence à repérer les divers intervenants et à comprendre leurs penchants politiques. Je me prends au jeu.
Tout l’art de Pommerat est de ne pas faire de ce spectacle uniquement un grand terrain de jeu. Son travail est pointu : ses recherches minutieuses n’aboutissent pas à de longues déclarations ennuyeuses et monotones, mais bien à des débats enflammés qui reproduisent les réunions d’alors. L’évolution est parfaitement fluide, et les résonances actuelles tout à fait intégrées dans un texte jamais didactique. Simplement, Pommerat est maître absolu de son spectacle et nous emmène là où il souhaite. On devine les premières idéologies politiques et on se plaît à surnommer l’un Mélenchon, l’autre Wauquiez.
Mais on est au spectacle. Les lumières, toujours si importantes chez l’auteur, accompagnent les discours, ouvrent les déclarations ou ponctuent les discours avec brio. Elles sont un personnage à part entière, créant tout de suite une atmosphère spécifique. Pommerat ne craint pas l’anachronisme : une fois le spectateur pris dans ces débats fougueux de l’Assemblée, il est aussi subjugué que le reste des députés lorsqu’on lui annonce l’arrivée du roi sur l’air de The Final Countdown. Cette scène, magistrale, à la fois culottée et évidente, m’a donné la chair de poule. Soudain, j’ai eu l’impression que Louis XVI allait surgir. J’ai senti l’excitation liée à la présence du Roi, l’exaltation de la foule, l’impatience de le voir surgir, l’envie de le toucher…
J’ai remonté le temps. J’ai changé de vie. J’ai appris. J’ai compris. J’ai écouté. J’ai interrompu. J’ai élevé la voix. Je me suis tue. J’ai réfléchi. J’ai dénigré. J’ai appréhendé. J’ai vu. J’ai ressenti. J’ai trépigné. J’ai applaudi. J’ai encaissé. J’ai eu peur. J’ai fermé les yeux. J’ai grandi. J’ai pris sur moi. J’ai adoré. J’ai idéalisé. J’ai cru possible. J’ai interrogé. J’ai remercié. Je me suis levée. J’ai vécu un bout du passé. Et j’ai juste envie de dire : merci Joël Pommerat.
Et soudain l’envie de dire : ÇA, c’est du Théâtre. Tout simplement ma plus grande soirée théâtrale à ce jour.