Critique de Baby, de Jane Anderson, vu le 7 février 2018 au Théâtre de l’Atelier
Avec Isabelle Carré, Bruno Solo, Camille Japy, Vincent Deniard, et Cyril Couton, dans une mise en scène de Hélène Vincent
Ha ! Le théâtre de l’Atelier. J’ai presque cessé de le fréquenter tant il m’a déçue ces dernières années. Je ne compte plus le nombre de fois où j’en suis sortie en me disant « la prochaine fois, je ne me ferai pas avoir ». Quelle ne fut pas ma surprise lorsque le spectacle de reprise de saison, Le livre de ma mère, seul en scène de Patrick Timsit, a remporté un franc succès du côté de la critique ! Et devant l’engouement provoqué par ce nouveau spectacle, Baby, j’ai décidé de donner une nouvelle chance à ce théâtre. Un premier pas vers la réconciliation.
Baby aborde un sujet délicat qui revient fréquemment dans les débats aujourd’hui : la gestation pour autrui. Wanda et Al vivent dans une caravane. Ils ont déjà plusieurs enfants, et Wanda est de nouveau enceinte. Au début de la pièce, elle tente d’aborder la question avec Al : elle a vu une annonce dans le journal et n’entend pas garder l’enfant cette fois-ci. L’annonce ? « Enceinte ? Couple marié, épanoui, cultivé et très à l’aise financièrement veut offrir à un enfant blanc en parfaite santé une vie heureuse. Différentes formes d’aides envisageables. Appeler en pcv. »
Dès l’annonce, on sent qu’un petit mot pourrait poser problème. Un enfant blanc. L’adjectif ne sera pas abordé tout de suite, mais la tension s’installe dès la diffusion du message. Elle augmentera avec le face à face entre Wanda, mère porteuse, et Rachel, mère adoptive. Les deux comédiennes protègent leur personnage avec passion : d’un côté, Isabelle Carré, lumineuse femme enceinte dont la séparation prochaine de son bébé semble placer par intermittence un voile devant ses yeux ; de l’autre, Camille Japy, habituée à un confort qu’elle ne retrouve pas chez cette nouvelle nouvelle relation, semble plus perdue à chacun de ses mouvements mais lutte avec bravoure pour rester digne et polie.
Cette première scène opposant deux classes différentes traîne encore quelques longueurs. Elle est explicative, met en place les différentes problématiques qui agitent chaque parti, leurs différences mais aussi leurs complémentarités. Elle paraît même parfois un peu simpliste dans son déroulement : on voit s’implémenter une certaine binarité, avec d’un côté la bourgeoise coincée tolérante par principe, s’opposant à la femme dans le besoin, se nourrissant mal, un peu vulgaire, sensible aux réflexions sur son mode de vie, ayant une tendance raciste pour trop côtoyer à son goût la communauté noire dont elle parle avec mépris. Des amalgames un peu rapides et qui handicapent un propos qui aurait pu être bien plus saisissant.
Dans la deuxième partie du spectacle, on se retrouve à l’hôpital, le jour de l’accouchement. Ici, la lutte des classes est moins didactique et passe plus par le jeu des comédiens, leurs interactions, leurs mouvements relatifs. La scène fonctionne mieux, faisant passer les émotions sans lourdeur. Les comédiens s’affrontent comme sur un ring : d’un côté, Bruno Solo et Cyril Couton transpirent le stress propre à ces hommes d’affaires pressés et désagréables, contrebalancés par un Vincent Deniard dont la corpulence semble soudainement inversement proportionnelle à son importance dans la pièce. Al, immense, semble tellement rabaissé par les deux autres hommes qu’il devient soudainement poussière dans cette pièce aussi froide que les regards de ses partenaires. Une belle prouesse.
Cependant je reste sur ma faim. Et même sur ma fin en vérité, puisque le dénouement est aussi désagréable qu’inattendu : la question qu’il pose place le spectateur dans une situation délicate, mais la solution envisagée par les personnages arrive trop vite pour qu’on perçoive toute la gravité du problème. J’aurais aimé que cette deuxième partie, plus intense, laisse à ses personnages le temps de la réflexion et de la décision en proposant davantage de pistes, de délibérations, d’introspection, même. Il laisse le spectateur désarmé, oscillant entre une prise de conscience trop brusque et une tendance au cliché qui ralentit sa pensée.
Un thème essentiel qui aurait gagné en intensité s’il avait réussi à prendre davantage son temps.