Malick Sidibé devient rapidement célèbre, attirant au Studio Malick toute une jeunesse avide de se voir représentée dans ces photographies qui les mettent en valeur. Sidibé parcourt aussi les clubs, représentant sans relâche les corps qui dansent, rient, flirtent. Son ami André Magnin le décrit dans ces fêtes : « Malick était la garantie d’une soirée réussie. On se le disputait, tout comme Garrincha, qui dansait le twist si bien et si vite qu’on lui avait donné le nom du meilleur dribbleur de tous les temps. Un vrai spectacle ! Malick, attendu aux soirées, avait sa table et un « sucré ». Il inspirait confiance, trop sincère pour « voler » des images. Il signalait son arrivée par un coup de flash. « Malick est là ! » La fête pouvait commencer. Immédiatement c’était l’ambiance, il donnait de la joie. Son plaisir, c’était leur plaisir. Malick portait un regard objectif et généreux, sans écart entre les élégants, les séducteurs, les amoureux qui s’exhibaient, et lui qui cherchait les belles poses. Il se transportait en eux pour donner les images les plus vraies. »
En 1976, à la disparition des clubs, Sidibé se consacre entièrement à la photographie en studio. Les clichés, tous en noir et blanc, s’accumulent par milliers, fixant avec art des visages, des poses, des attitudes, des looks. Les décennies suivantes marqueront un recul dans son activité : le public préfère la couleur. Mais, à partir du milieu des années 1990, Sidibé commence à participer à des expositions internationales. En 1992, une exposition à New York montre trois œuvres dites anonymes. André Magnin les emporte avec lui au Mali et fait la connaissance de Malick Sidibé qui lui explique que les clichés sont de Seydou Keïta. Ce sera le début d’une riche collaboration. En 1994 s’ouvrent les premières Rencontres de la photographie africaine où Seydou Keïta et Malick Sidibé exposent. Une première rétrospective de l’œuvre de Sidibé se tient à la Fondation Cartier en 1995. Son œuvre entre aussi dans les galeries et dans les musées. Une première monographie est publiée en 1998. Il reçoit de nombreux prix dont un Lion d’or d’honneur à la 52e Biennale de Venise en 2007. En 2016, les Rencontres d’Arles lui consacrent une grande exposition. Malick Sidibé meurt la même année.
Regardez-moi ! de 1962 montre une groupe de danseurs dont un jeune homme, complètement déhanché, qui rit et semble en transe : ses yeux sont bouleversants comme dans toute l’œuvre de Sidibé que l’on peut parcourir de regards en regards comme on irait d’un bonheur à un autre. C’est également vrai des clichés en studio. Avec toujours, encore, cette attention portée aux vêtements, à l’élégance. « En studio, raconte encore l’artiste, j’aimais le travail de composition. Le rapport du photographe avec le sujet s’établit avec le toucher. Il fallait arranger la personne, trouver le bon profil, donner une lumière sur le visage pour le modeler, trouver la lumière qui embellit le corps. J’employais aussi du maquillage, je donnais des positions et des attitudes qui convenaient bien à la personne. » Mais rien de figé pour autant, évidemment serais-je tenté de dire, car sinon nous ne serions pas face à une œuvre de beauté. L’humour, en outre, n’est pas absent de ce travail. En 1974, il photographie au flash, à l’extérieur, un homme assis dans un fauteuil, les jambes croisées, vêtu d’un costume à carreaux et d’une chemise à fleurs mais le visage est resté dans la pénombre : Sidibé l’a intitulé Ce n’est pas ma faute !
J’aimerais décrire encore d’autres œuvres, tant elles sont riches, fortes, poignantes et enthousiasmantes. En effet, il faudrait encore parler des photographies prises sur les rives du fleuve Niger, comme ce Sur les rochers du fleuve Niger de 1971 qui montre un jeune homme torse nu, pris en contre-plongée d’où se dégage une sensualité sculpturale. Je terminerai par une dernière citation de Sidibé qui résume joliment sa philosophie : « Pendant les soirées, les jeunes influencés par la musique sont excités, déchaînés, comme en transe, ils se sentent bien dans leur peau. Quand je les regardais gesticuler avec tant de ferveur, je me disais : « Danser, c’est bon, dans la vie, il faut s’amuser, après la mort c’est fini ! »
Franck Delorieux
Exposition Malick Sidibé, Mali Twist Fondation Cartier, du 20 octobre 2017 au 25 février 2018