À partir du 16 février 2018 - Vernissage jeudi 15 février à 18h
http://www.lesabattoirs.orgLes Abattoirs ont invité pour le printemps 2018 Renaud Jerez à investir son étage principal, dont la grande nef sous arches de briques, pour qu'il y conçoive une installation-exposition. Il imagine pour le lieu une structure totale, pensée à la fois comme un espace domestique et un lieu d'exposition organique qui aurait pris possession des Abattoirs. A l'intérieur de la structure architecturale, on retrouvera combinées des oeuvres crées pour et en partie reproductible sur d'autres lieux d'expositions.
Né en 1982, Renaud Jerez, artiste français dont la carrière s'est développée internationalement depuis sa sortie de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris, élabore depuis plusieurs années une oeuvre qui fait l'analyse selon laquelle la science-fiction est devenue grâce à la virtualité la réalité d'aujourd'hui. Ce futur longtemps imaginé s'est dans son travail effondré, recroquevillé, mais aussi réincarné en des personnages sculpturaux, qui sont aussi bien des momies précaires que futuristes. Ces squelettes bio-morphes, faussement bricolés, sont construits à base de tubes de PVC et câbles informatiques, recouverts de bandages et habillés de matériaux de récupération. Renaud Jerez nous transporte ainsi dans un univers dans lequel la biomécanique du corps humain est indiscernable de la réalité des technologies numériques. En 2014, il réfléchissait à la définition de singularité technologique, c'est-à dire l'hypothèse que l'invention de l'intelligence artificielle déclencherait des changements imprévisibles sur la société humaine, changements auxquels il donne la forme de ses robots-momies. Il pointe également du doigt l'existence d'un corps robotique qui intègre la prothèse comme élément indissociable de l'humain, ce que Danna Haraway, avec humour, appelle le cyborg1. Ces figures reflètent une humanité étrange et parasitent un environnement faussement sur mesure. Le bricolage et la précarité des formes sabotent les notions d'hygiène et de fluidité chères à la civilisation contemporaine.
Si ses personnages sculpturaux sont la partie la plus connue et émergeante de son oeuvre, le travail artistique de Renaud Jerez s'exprime sur des supports variés qui vont de la sculpture et de l'installation à la vidéo en passant par la peinture. Représentatif d'une génération d'artistes qui a compris qu'il n'y a plus de limite entre le réel et le virtuel, ou, s'il en reste une, qu'elle est à explorer, Renaud Jerez a souvent été mis en relation avec les artistes dits du post-Internet. Cependant, pour lui, l'Internet est "un outil et non un sujet ". Le monde virtuel recèle aussi bien les bonheurs ou les malheurs, en tout cas toute la diversité de vie, d'une rue moderne : " L'Internet m'intéresse en tant qu'espace public sale et
dangereux, tout comme la rue. Les deux sont pollués et ma culture est celle des espaces saturés par des espaces publicitaires et des graffiti hackers ". Loin de tout délire immatériel, l'artiste porte un regard éveillé sur la réalité : " un ordinateur, c'est aussi la touche de doigts gras sur un écran, des poils tombés sur un clavier ". Il recherche donc la matérialité de cette virtualité. De même, si ses oeuvres sont marquées par l'histoire de l'art - surréalisme, nouvelle objectivité, dada, ou plus récemment l'humour trash d'un Mike Kelley etc. -, l'arrière-plan culturel de son travail ne distingue plus culture historique et mainstream. Son oeuvre se présente sous l'empreinte de tendances cyberpunks, sous l'égide des récits
de la science-fiction et est traversée par l'animation japonaise et le manga. S'appuyant sur ces références, Renaud Jerez nous suggère avec humour les potentialités plastiques, mais aussi les potentiels dangers d'une époque transformée. Questionnant les réseaux et les mises en relation des autoroutes de l'information, il en met en scène aussi l'exclusion, culturelle et humaine. Prenant en compte les réalités corrosives de la culture Junk, les tréfonds du dark Internet et la surconsommation qui bouchonnent dangereusement les cyber-autoroutes de l'information, Renaud Jerez court-circuite les rêves de progrès.
Au cours de ces deux dernières années, Renaud Jerez s'est mis à créer des environnements domestiques autour de ses sculptures robotiques. Peuples inconnus et familiers à la fois, momies d'un futur dans le passé, ces personnages d'un temps incertain évoluent désormais dans un habitat familier et étrange. Pour l'exposition conçue pour l'ICA à Miami, l'enjeu de la vision, et de la vision modifiée par les écrans, s'est étendu à des structures-cabanes aux fenêtres de couleurs transparentes, modifiant le regard que l'on portait sur l'espace et les différentes parties de l'exposition. Plus récemment, Renaud Jerez s'est remis à la peinture, pratique qu'il avait abandonnée, et dont plusieurs exemples seront présents dans l'exposition, en proximité avec de nouvelles créations animées.
Pour le projet aux Abattoirs, Renaud conçoit une habitation organique dans laquelle le visiteur circulera dans des
pièces créées par l'artiste comme un environnement où seront intégrées des oeuvres anciennes ou nouvelles.
L'artiste, lui-même commissaire d'exposition à quelques reprises, imagine une exposition qui est une oeuvre en soi, pour laquelle il a toujours recours à des matériaux de construction élémentaires fer, plâtre, cartons, papiers mâchés, etc.), recyclés ou recyclables, couplés à des matériaux synthétiques et caractéristiques de la civilisation contemporaine industrielle et bon marché (vêtements, parapluies, fourrures industrielles, etc.). De même, le mobilier de l'espace du musée à cet étage est imaginé par l'artiste (lumière, vitrine) et présente quelques oeuvres sélectionnées par lui.