Signes. Poéthique de la foi

Par Balndorn


Signe des temps : après le 11-Septembre, M. Night Shyamalan se lance dans la SF. Dans Signes, une invasion extraterrestre menace la Terre, et la famille d’un pasteur (Mel Gibson), en perte de foi après la mort de sa femme. Mais plus qu’un drame collectif – comme dans Avengers –, Signes représente l’attentat comme une tragédie intimiste, qui oblige chaque individu à repenser son rapport à l’autre.
Sortir de l’écran
Mel Gibson jouant un pasteur, c’est comme Bruce Willis jouant un psychiatre dans Sixième sens : c’est une atteinte à sa persona de héros d’action. Mais dans Signes, le processus de déconstruction/reconstruction de la figure de l’acteur se rattache directement au contexte historique de production. En plaçant Gibson dans une posture attentiste, du moins non-violente, le cinéaste marque clairement une rupture dans la représentation héroïque de l’Amérique. Comme si le 11-Septembre avait directement atteint la masculinité états-unienne, à la fois en tant que virilité et paternité. Comme Cole Sear dans Sixième sens, le pasteur Graham Hess apprend à attendre. Cela signifie rompre avec la logique médiatique de l’infotainment, qui angoisse ses enfants et son frère Merill (Joaquin Phoenix). Sortir de l’écran de la télévision, qui transforme le monde en objet-artefact du Mal, et érige les extraterrestres en archétypes de l’Autre dangereux.Cela suppose aussi, en termes de mise en scène, avoir confiance dans le hors-champ. Ne sachant jamais à quoi s’attendre, s’attendre à tout, au pire comme au meilleur. Shyamalan excelle dans l’art du hors-champ. De même qu’un burin pour un sculpteur, la caméra taille et découpe des blocs de réalité. De manière physique, les travellings s’aventurent dans un espace sensible au spectateur, s’amusant à jouer des points de vue et des obstacles à la perception. Tout un art du champ/contrechamp, figure des plus banales au cinéma, culmine dans Signes, à l’exemple de la découverte des crop circles par la famille Hess. Collée au visage de Mel Gibson, la caméra ne s’en détache que plus tard, après avoir saisi l’instant où son regard devient médusé. Alors elle décolle en zénithale, dévoilant l’ampleur du phénomène.
L’Autre est un Je
Mais le hors-champ se situe également dans le for intérieur des personnages. Au cœur de la tourmente, Graham réapprend la paternité, et sort de sa solitude farouche dans laquelle il se terrait depuis l’accident de sa femme. En quelque sorte, il redécouvre un hors-champ sauvage – et l’apprivoise.C’est en ce sens que Signes se distingue au sein de la pléthorique production post-11-Septembre. Contrairement à bon nombre de films qui virent à l’unité nationale et au patriotisme, Shyamalan garde un œil bienveillant sur le hors-champ, territoire de l’Autre. Contrairement à l’adaptation que tire Spielberg de La Guerre des mondes en 2005, la figure de l’extraterrestre n’est pas radicalement hostile. Elle est d’abord étrange. Et cette étrangeté renvoie le personnage-spectateur à son propre regard : l’Autre est un Je. C’est bien plus à Premier Contact que ressemble Signes : les extraterrestres déclenchent l’introspection, psychologique chez Louise Banks, religieuse chez Graham Hess.
Au-delà du trauma : Dieu
Car aussi sombre soit la trame narrative et le contexte historique, Signesbrille d’une obscure lueur d’espoir. À travers l’expérience extraterrestre, Graham Hess retrouve la cohérence divine qui lui faisait défaut depuis la mort de sa femme. Comme il l’explique à son frère, il passe du « camp 2, celui du hasard », au « camp 1, celui des coïncidences ». C’est-à-dire qu’en dépit du chaos environnant, le pasteur réinvente une narration pleine de sens. Dieu prend cependant forme humaine. Sa puissance ne se manifeste nulle part en particulier, et de ce fait, elle s’étend partout. Chaque objet devient relique, artefact. Témoin : celui qui montre sa foi. À la tragédie nationale, Shyamalan répond par la mystique individuelle du retour à l’humain. À l’instar de Merill, contemplant avec ferveur, dans un intense champ/contrechamp, son frère sauver son fils d’une crise d’asthme par les seules vertus de la parole qui réconforte.
Signes, de M. Night Shyamalan, 2002 
Maxime
Si vous avez aimé cet article, n'hésitez pas à me soutenir sur Tipeee !