Une enfant de sept ans parfaitement éveillée peut lire certains best-sellers dont il ne sera pas utile de citer le nom de l’auteur. Il y a peut-être un jeu de la valorisation narcissique à lire Jaffeux et ce livre là en particulier. La gamine comprendra tous les mots que comprennent aussi, flattés / ou rassurés, les 150 000 autres lecteurs du livre qui raconte une histoire. Être mis en difficulté, sans jamais s’y trouver, en lisant Jaffeux sera peut-être un processus même ou semblable ou inversé. Le jeu du plaisir de lire, sans le jeu du relâchement et de l’automatisme ultra rodé / ronronnant. Est-ce que les phrases devenues - extraites du chaos ! - font le même chemin que quand on les lit dans les Courants blancs et Autres courants, c’est-à-dire dans leur portée philosophique/électrique ? À vous de les vivre :
Calcite une de pour un vacillant
cristallise chute mots peser vide
Pyrite les d'une rongée l'éclat trace
montre dents page par d'une bizarre
Diopside l'unité perception dialogue des
creuse d'une qui avec accidents
Jaspe l’opération danse fabriquer graphique
capture d’une pour un
Jeu autour du nombre 26. Suites / accumulations / séries / variations / images-textes / textes-images et leurs effets. Sans l’expliciter, il s’agit pour un écrivain de redire qu’il consacre sa vie d’auteur à l’alphabet.
Dans le jeu social, on peut user exclusivement ou autant que possible du langage phatique, en lisant Glissements, en dialoguant avec l’auteur sur son texte, je n’ai plus besoin d’évoquer le givre pour poétiser l’échange sans échange. Emballer la vacuité et le jeu ouvert de la vacuité… Si elle est encore là, elle ne pèse plus. Lire Glissements, parler de Glissements me joue le jeu de la conscience au monde, à un monde d’images, monde sonore et à une esthétique de ces mondes-là. Refuser la réalité et ses logistiques / violences, c’est peut-être cela être poète. Un certain monde n’entre pas dans Glissements. On a déjà écrit / dit que l’écrivain ou l’artiste doit rendre compte ou photographier son époque. Jaffeux, lui, joue avec, pour, - et fabrique des images – 26 lettres. Jaffeux ne semble ni avoir été avalé par l’alphabet, ni être vaincu par l’alphabet, la partie qu’il a engagée quinze ans plus tôt avec lui prendra simplement fin quand il cessera d’écrire.
Ma troisième lecture du texte sera sans doute aléatoire, page ouverte ici ou là. Le texte n’est à ce jour et pour moi pas encore épuisé. C’est à cela que l’on reconnaît / distingue - peut-être - la poésie..
Philippe Jaffeux, Glissements, éditions Lanskine, 2017, 55 p., 12 €
Les Courants blancs et Autres courants sont publiés à L’Atelier de l’Agneau
Merci à François Huglo qui a rédigé à ce jour, je le crois, le plus éclairant texte sur Glissements.