Robert Laffont
Collection R
Traduit de l'anglais par Fabienne Vidallet
Janvier 2018
400 pages
18,50 euros
Young Adult dès 15 ans
Quatrième de couverture : Dans la vie de tous les jours, Eliza Mirk est une fille timide, intelligente, un peu étrange et... qui n'a pas d'amis. Dans sa vie en ligne, Eliza est LadyConstellation, créatrice anonyme de La Mer infernale, un webcomic extrêmement populaire. Avec des millions de followers et de fans à travers le monde, son alter ego est une véritable star. Mais Eliza ne peut s'imaginer aimer le monde réel plus qu'elle n'aime sa communauté numérique. Puis, un jour, Wallace Warland arrive dans son lycée et Eliza va vite se demander si la vie ne mérite pas d'être vécue hors ligne...
Eliza et ses monstres était le roman YA que j'attendais impatiemment de découvrir dans la collection R et je ressors de cette lecture avec beaucoup d'émotions, dans un tourbillon de questions, de sentiments, de ressentis. Je crois que c'est l'un des meilleurs young adult contemporain que j'ai pu lire, pourtant j'avais un peu d'appréhension avant de le commencer car j'avais peur que l'univers du fanart ne me plaise pas. Je ne suis pas trop fanart, fanfiction, et tout ce qui est webcomic voire même webwriting mais j'ai trouvé le propos hyper juste, abordé avec délicatesse et intelligence. Car finalement peur importe la passion, ici celle du dessin et de la BD, quand celle-ci prend tellement le pas sur votre vie privée, le résultat est le même. C'est le cas d'Eliza qui partage son identité entre celle de tous les jours où elle est l'insignifiante, la transparente et la très introvertie Eliza Mirk. Pas d'amis, pas de discussions, beaucoup de silence pour une fille qui est dans sa bulle. On ne sait pas tellement si c'est elle qui a un trouble social, si elle souffre réellement de marginalisation et d'exclusion voire de dépression car chez Eliza on sent qu'elle recherche un peu cette solitude amie, ce besoin d'observer les choses de loin sans y participer. Puis il y a LadyConstellation, son identité virtuelle sur le web, créatrice de La Mer infernale, un webcomic qui attire des millions de fans. Et ce n'est pas rien car Eliza réunit une grosse somme d'argent grâce à la vente de produits dérivés issus de son oeuvre de SF. Elle aime sa communauté numérique, ses abonnés, ses followers et ne vit que pour dessiner et créer. Elle vit son histoire à fond, la ressent et tout son être vibre que pour ça. Mais là encore elle ne s'immisce pas dans cette communauté et garde l'anonymat aussi bien que la discrétion. Puis un jour, un nouveau, Wallace débarque dans son lycée. Il ne parle pas mais il est fan de La Mer infernale qu'il transpose en roman...
Eliza m'a beaucoup touché et en même temps parfois je ne la comprenais pas. C'est ce sentiment oscillant sans arrêt entre affection et incompréhension qui a rendu ma lecture attachante. Surtout aussi parce que mon adolescence n'a pas été facile, très solitaire également. On va suivre la relation d'Eliza et de Wallace avec dans l'esprit le fait qu'elle garde un secret important vis-à-vis de lui. Quelque chose qui pourrait bouleverser leur complicité naissante. Eliza est solitaire, certes et j'ai pu la comprendre : préférer sa passion à la vraie vie, vivre une vie sur les réseaux et par le biais de sa passion plutôt qu'interagir avec sa famille, avec les gens de son lycée. Parfois quand la réalité nous déçoit, on préfère vivre et s'investir dans nos passions, nos vocations, ce qui nous procure du bonheur. Mais Eliza a des défauts et pour moi elle est égoïste voire égocentrique. Ne pas remarquez certaines choses chez ses frères, c'est comme si elle avait des oeillères et que rien d'autre ne compte hormis son webcomic. C'est assez affolant et déroutant à la fois. On essaie de se mettre à la place des parents, inquiets et qui aimeraient avoir une adolescente normale et qui ne se replie pas sur elle-même. Donc on évolue dans ce climat qui peut-être pesant et difficile parce qu'Eliza est une fille brillante et intelligente, qui a du talent et énormément de choses à apporter autour d'elle. Mais elle ne s'en donne pas la peine...
Tandis que Wallace ne parle pas pour des raisons plus graves et qui nous apparaît comme un jeune homme sympathique, bon et généreux. Le lien entre Eliza et lui est incroyable, né d'une passion et d'une complicité. Il y a un vrai partage, une confiance qui va s'ébranler face aux secrets d'Eliza... Pourtant impossible de lui en valoir car si Eliza garde ses secrets, elle va apprendre progressivement à baisser sa garde, à se faire violence, à faire des efforts, à rencontrer les amis de Wallace. Le roman est très bien écrit, de cette plume pleine de sensibilités, de style, de subtilités psychologiques car l'héroïne n'est pas facile à cerner. J'ai également adoré le côté intimiste et immersif du roman qui nous plonge dans les pensées d'Eliza, mais aussi dans toutes ses réflexions et sa manière d'agir. Ainsi Eliza et ses monstres est un YA contemporain qui mise tout sur la psychologie de son héroïne et sur ses interactions avec son entourage.
C'était une chouette lecture sur le malaise adolescent, le manque de sociabilité, la marginalisation mais aussi sur l'art et la créativité. C'est assez dépaysant de voir comment le processus de création artistique peut couper l'adolescence de tout un monde. Ce fut une lecture très intéressante sur les mécanismes de protection de soi, qui évoque de manière originale la quête identitaire, la confiance en soi et en autrui et qui pousse à avancer, à se dépasser pour trouver le bonheur. Un roman YA incontournable de 2018!
Cette chronique est également disponible sur le blog Mirrorcle World!! Ma chronique ici