Depuis une dizaine d'années, dans tous les grands groupes, la vague des plates-formes collaboratives a cédé la place à la mode des réseaux sociaux d'entreprise. Nombre d'initiatives ne produisent pourtant pas les résultats escomptés. Mais le plus étonnant est de constater que les raisons de ces échecs ne sont toujours pas bien comprises.
Le débat est relancé, une fois de plus, par un article paru dans La Tribune. Selon son auteur, les principaux obstacles qui empêcheraient d'atteindre les objectifs fixés aux réseaux sociaux d'entreprise – en synthèse, de faciliter et développer la communication et la collaboration transverse dans l'organisation – seraient liés aux inhibitions et aux craintes de s'exprimer des salariés, à une reproduction contre-productive des structures hiérarchiques, à des interrogations sur l'usage des données publiées…
Or ces arguments, sans être faux en soi, ne sont que les conséquences d'une erreur fondamentale que commettent presque toutes les entreprises lors de la mise en place de leur plate-forme : elles oublient de donner un sens à leur projet. Les collaborateurs se retrouvent alors devant un outil dont il n'ont pas la moindre idée de ce à quoi il est destiné concrètement, au-delà d'incantations venues du sommet, sur la transparence, la communication, le partage… Une recette parfaite pour installer la méfiance.
À l'origine de ce défaut, il est un piège béant dans lequel il est facile de tomber. Ainsi, il est extrêmement tentant de considérer que les mécanismes qui ont permis l'extraordinaire succès des réseaux sociaux grand public sont directement applicables à leurs déclinaisons professionnelles. Malheureusement, il suffit de s'interroger sur les motivations profondes des utilisateurs réguliers de Facebook, Twitter, Instagram ou Snapchat pour comprendre que ce raisonnement ne résiste pas à une analyse sérieuse.
D'un côté, la promesse de ces grandes plates-formes est de maintenir en permanence le contact et de pouvoir partager des expériences avec ses amis et ses proches. De toute évidence, il s'agit d'une extension dans le temps et dans l'espace d'une envie naturelle pré-existante de socialisation. En comparaison, dans le monde de l'entreprise, il n'existe pas de besoin intrinsèque équivalent : les moyens de communication disponibles suffisent à remplir les tâches du quotidien avec les collègues immédiats et beaucoup ne perçoivent pas l'intérêt pour leur activité d'échanger avec des personnes « distantes ».
Autrement dit, la mise en place d'un réseau social n'a aucune chance de déclencher une adoption automatique généralisée parmi les collaborateurs, puisqu'ils ne peuvent en déterminer la valeur potentielle. Croire à ce genre de miracle est un exemple du travers classique des « technofans », qui voudrait que la mise à disposition d'un outil suffise à susciter des nouveaux usages et des changements de comportement. Hélas, dans le monde réel, il faut guider (sinon former) les utilisateurs pour espérer produire un effet.
En pratique, cette recommandation doit donc se traduire par une démonstration claire et explicite, susceptible de toucher le plus grand nombre, des bénéfices que chacun peut espérer tirer du réseau social et d'une participation active à son animation, dans le cadre des missions qui lui sont confiées (dont, en outre, la formulation devra généralement être ajustée en conséquence). Une fois ce premier pas franchi, les autres freins – d'ordre irrationnel, pour une large part – deviendront normalement plus aisés à lever…