Hawaii, 15 février 1779, Charles Clerke est sous le choc. Il exige et obtient la dépouille de Cook, mais refuse de se venger malgré les pressions de l’équipage. Il prend le commandement général et prépare la Resolution pour le départ. John Gore dirigera la Discovery. Malgré les tragiques évènements, il faut se mettre en quête du Passage du Nord Ouest.
Tout comme l'année précédente, la tentative échouera. D’avril à juin 1779, ils vont donc relâcher à Petropavlovsk sur la côte du Kamtchatka. L'accueil que leur réserveront les Russes sera chaleureux. Le lieutenant-colonel Magnus Behm, gouverneur de la province leur offrira pour plus de deux mille roubles de provisions et de matériels de marine (1) et ce sont des objets provenant en majorité d’Hawaii que Clerke offrira ainsi qu’une carte des découvertes faites par les Anglais entre 1776 et 1779. Un beau cadeau !
À l'été 1779, les navires repartent mais c'est un nouvel échec et les voilà de retour sur la côte russe en septembre de la même année. De nouveau, des présents sont offerts cette fois-ci au Capitaine Smiloff, probablement des artefacts « exotiques » mais, de ce deuxième don, on ne trouve pas trace.
Plus tragiquement, Charles Clerke verra la fin de son propre voyage en terre russe puisqu’il mourra de turbeculose le 21 août 1779 et sera enterré en l’église de Paratoonka. Gore prendra alors le commandement de la Resolution et James King celui de la Discovery.
Si nous gardons traces des périples des navires, avons-nous des renseignements concernant les objets offerts à Magnus Behm ?
On sait que ces derniers sont partis rapidement pour Saint-Pétersbourg afin de rejoindre les collections du Kunstkamera, le cabinet d’Histoire Naturelle de Pierre le Grand. Quant au contenu, A. Kaeppler s'appuie sur la traduction qu’elle a faite d’un article de Rozina paru en 1966 et dont elle nous donne un compte-rendu dans son ouvrage de 1978 (2).
Quelques années plus tard, s’apercevant de quelques erreurs, elle publiera un correctif (3) à ces premières attributions.
Selon Yakov M. Svet et Svetlana Fedorova (4), il existe bien un inventaire des objets du Lieutenant-Colonel Behm daté de 1780, conservé dans le Département de l’Académie des Sciences de l’URSS, Archives de Leningrad et comportant 48 entrées.
La première entrée est composée de 15 dessins, il s'agit de portraits d’habitants de Tahiti, de Nouvelle Calédonie, de la Terre de Feu, de Nouvelle Zélande et des paysages marquisiens, tongiens et encore de la Terre de feu... assurément des œuvres réalisées par William Hodges, l’artiste du second voyage.
44 entrées correspondent à des artefacts des Tonga (ce qui est manifestement faux), 2 à des objets du Kamtchatka (objets ayant probablement appartenu à Behm vant la rencontre avec les Anglais) et une à un objet d’une des îles aléoutiennes.
Or l'intégralité de cet ensemble n’est pas arrivé dans les collections du Kunstkamera !
Il faut se baser sur le catalogue du cabinet publié en 1800 qui comporte lui 32 entrées d’objets polynésiens qui sont maintenant et, curieusement, numérotés avec un préfixe numéral 505-.
Kaeppler suggère que ces objets ont dû être collectés par le chirurgien de la Resolution, William Anderson, qui avait amassé une grande quantité d'artefacts et qui était décédé le 4 août 1778. Dans une lettre datée du 21 juillet 1778, il avait écrit ses dernières volontés léguant à Joseph Banks toutes ses "natural curiosities" mais omettant toute précision sur ses "artificial curiosities".
De plus, le fait que la majorité des objets donnés à Behm proviennent d'Hawaii encourage A. Kaeppler à penser qu'il s'agit bien des collectes d'Anderson. Ayant déjà visité les autres contrées (il faisait partie du second voyage), Hawaii était pour lui la "nouveauté"... et de voir toutes ses plumes, quel attrait pour celui qui était tant intéressé par l'histoire naturelle dans son ensemble !
On trouve ainsi à Saint-Petersbourg des objets uniques tels un éventail emplumé et un battoir à tapa hawaïen (505-29) réalisé dans un bois lourd. Celui-ci est le seul à avoir été collecté lors des voyages de Cook.
Le correctif de 1983 de Kaeppler est riche d’enseignements en ce qui concerne la méthodologie de ses investigations mais aussi sur la stylistique des capes d’Hawaii.
En effet, son recensement de 1978 attribuait au musée de Saint–Petersbourg 5 capes et couvre-épaules d’Hawaii provenant des voyages de Cook.
L’une a une encolure droite et est entièrement couverte de plumes rouges et jaunes (505-12), la deuxième est de forme trapézoïdale (505-9) et 3 autres sont à encolure ajustée (505-17, 505-18, et 505-19).
Or il se trouve que sur les 30 capes et couvre-épaules recensés par A. Kaeppler dans son ouvrage Artificial Curiosities, 20 de ces objets possèdent une encolure droite, 6 ont une forme trapézoïdale, l’un a été perdu et on ne connaît pas sa forme, et trois ont une encolure ajustée. Ce sont les 3 capes qui sont conservées à Saint-Petersbourg et qui se distinguent des autres du point de vue style.
Cela semblait bien étrange… La question est donc maintenant résolue puisque le complément d’études portant sur l’inventaire de 1800 permet d’exclure ces 3 capes des cadeaux offerts à Behm.
Mais alors, d’où proviennent-elles et pourquoi cette numérotation 505- qui semble indiquer que les objets ainsi regroupés forment un ensemble ?
L'hypothèse (5) formulée par A. Kaeppler est qu’étant donnée l’importance des collections ethnographiques de Saint-Petersbourg, les objets des premières collectes ont dû être réunis ensemble : En 1828, la Kunstkamera a acquis les collections du musée de l’ancien ministère de l’Amirauté et à ce titre, sont arrivés des objets des voyages de Yuri Lysiansky, du célèbre Ivan Fiodorovitch Krusestern (Circumnavigation 1803-1806) et de Otto von Kotzebue (6).
Les objets du Pacifique ont dû se retrouver groupés.
À la fin du XIXème siècle, Fedor Russow, le nouveau conservateur du MAE (Musée d’Anthropologie et d’Ethnologie), fut le premier à s’atteler à la tâche, recherchant quels étaient les objets en provenance des collectes des expéditions Cook.
Il y avait eu des pertes depuis la centaine d'années qui venait de s'écouler, peut être dues aux mauvaises relations entre la Grande Bretagne et la Russie qui avaient conduit jusqu’à oublier le nom de Cook.
Le 13 février 1893, Russow rendit un rapport sur l'état des collections Cook à l'Académie des Sciences. Il travaillait sur les collections depuis 1880 et la première exposition du MAE qui ouvrit le 22 mars 1891 fit état d'au moins 10 objets hawaiiens, tahitiens et tongiens. Il publia encore en 1900 sachant que c’est probablement après 1894, sous la direction du musée par V.V. Radlov, que les objets de l'inventaire Behm reçurent un numéro de collection Cook, le fameux 505. Puis les travaux de Russow tombèrent dans l'oubli jusqu'à ce que E.L. Petri reprenne au début du XXème siècle, la liste 505, les notes de Russow et les étiquettes Behm annotées par ce dernier.
De nos jours la liste 505 compte 33 exemplaires.
La complexité d'identification des objets Cook dans un tel cas de figure tient aussi au fait que les objets ont été annotés par au moins trois personnes : Behm, Russow, Pietri. La collection fut de nouveau oubliée jusqu'en 1959, date à laquelle L.G. Rozina reprit l'inventaire 505 et fit des recherches dans les autres parties des réserves du musée. En 1966, elle publia le premier catalogue de la collection Cook du MAE et ce n'est qu'en 1978 qu'il fut traduit par A. Kaeppler et corrigé en 1983.
On notera que Rozina avait bien pris en compte les trois étoffes d'écorce données par John Reinhold Forster qui avaient été incluses dans la collection sous les numéros 737. 1, 737-2 et 737-21. Le numéro 737-1 fait l'objet d'une controverse, il semble être daté du début du XIXème siècle et proviendrait d’une collecte du Capitaine G. Barber. Forster aurait plutôt offert les tapa 737-2, 737-3 et 737-21.
Dans les années 1990, les recherches ont continué.
L.A.Ivanova (7), qui a contribué à l’exposition "Captain Cook’s last Voyage de Saint-Petersbourg" de 2002, fait le point sur les objets : Ceux-ci se trouvent au moins dans cinq collections du musée sous les numéros génériques 505, 736, 737, 765, 2328.
Il semble maintenant prouvé que 22 artefacts et 9 gravures peuvent être de manière certaine attribués aux voyages de Cook mais il faut encore laisser en suspend l’attribution de certains objets et notamment celle de certaines capes (8).
à suivre...
Notes :
1. Svet Yakov. M & Fedorova Svetlana G, 1978, « Captain Cook and the Russians ». Appendix A.
2. Rozina L.G., 1966, « Kollektsiya Jemsa Kooka » in Sobranii Muszeya antropologii i etnografii 23 traduit par « The James Cook Collection in the Museum of Anthropology and Ethnography, Leningrad » in Kaeppler A.L.(ed.), 1978, Cook Voyage artefacts in Leningrad, Berne and Florence museums.
3. Kaeppler A. L., 1983, « A further note on the Cook voyage collection in Leningrad »
4. Svet Yakov. M & Fedorova Svetlana G, 1978, « Captain Cook and the Russians »
5. Kaeppler A. L., 1983, « A further note on the Cook voyage collection in Leningrad ».
6. Les titres de ses ouvrages témoignent de l’ampleur de ses expéditions : Un voyage de découverte dans la mer du Sud et le Détroit de Béring aux fins de l' exploration d' un passage du Nord-Est entrepris dans les années 1815-1818 et Un nouveau voyage autour du monde dans les années 1823-1826.
7. Site de l’exposition de Saint–Petersbourg : http://web1.kunstkamera.ru/english/exhibition/kuk/taiti/framel.html
8. Sur les six capes 2520-4, 5, 6, 7, 8, 9, il semble prouvé que les capes 2520-8 et 9 ont été rapportées par I.G. Voznesenski et d'après Korsun (1999), il semble que les capes 2520-4, 5, 6, 7 aient été ramenées par G. G. Ismailov et D. I. Bochrov.
Les photographies 1, 3, 4, 5 et 7 relatives aux objets conservées au musée d’ethnographie de Saint-Petersbourg proviennent du site de l’exposition « Captain’s Cook last voyage » de 2002 :
Photo 1 : 1. Vue de l’exposition de Saint-Petersbourg © T.D.R
Photo 2 : Oton King of Otaheiti - Une gravure de John Hall à partir d’un dessin de William Hodges réalisé entre le 26.08 et le 01.09.1773 © Kunstkamera Saint-Petersbourg.
Photo 3 : Battoir d’Hawaii 505-29 © Kunstkamera Saint-Petersbourg.
Photo 4 : Cape d’Hawaii 505-12 © Kunstkamera Saint-Petersbourg.
Photo 5 : Cape d'Hawaii 505-9 © Kunstkamera Saint-Petersbourg.
Photo 6 : Cape d’Hawaii 505-17 in Kaeppler A. 1978, Artificial Curiosities © Kunstkamera Saint-Petersbourg.
Photo 7 : Cape d’Hawaii 505-18 © Kunstkamera Saint-Petersbourg.
Photo 8 : Cape d’Hawaii 505-19 in A.L.(ed.), 1978, Cook Voyage artefacts in Leningrad, Berne and Florence museums © Kunstkamera Saint-Petersbourg.