Le chapitre de relations entre les arts traditionnels d’Afrique et les créations modernes et contemporaines d’Europe est quasiment inépuisable. Des exemples et illustrations dans les oeuvres de Matisse, Picasso, Brancusi, Klee, Giacometti, Léger, Moore, Bearden, Penck, Haring sont multiples et mettent en évidence des modes relationnels divers.
Il y a des relations évidentes comme le Portrait de Madame L.R de Brancusi que les critiques rapprochent d’un reliquaire Mahongwe du Gabon.
Reliquaire Mahongwe du Gabon
Brancusi, Portrait de Madame LR 1914_1918
Des influences invisibles, c’est à dire une idée plastique, empruntée sciemment ou non, assimilée, transposée, transformée si bien qu’elle en devient difficilement perceptible. Le modèle parfait d’influence invisible existe entre la Guitare de Picasso (1912) et un masque Grebo. Dans un masque Grebo , les deux cylindres et les blocs horizontaux parallèles ne ressemblent pas à des yeux, généralement figurés en retrait, ou à une bouche mais les évoquent. Dans sa sculpture de 1912, Picasso a représenté l’écoutille de la guitare par un cylindre en saillie à la manière du masque Grebo. A la problématique plastique comment indiquer un trou dans un plan, Picasso a adopté la solution qui consiste à projeter le trou vers l’avant sous forme d’un cylindre creux comme le masque Grebo projetait l’orbite sous la forme d’un cylindre.
Masque Grebo, Côte d’Ivoire ou Liberia
Picasso
Guitare 1912
Il y a aussi des affinités plastiques qui n’indiquent pas obligatoirement que l’artiste se soit inspiré d’une œuvre précise. L’oiseau – tête de Max Ernst présente de troublantes similitudes avec un masque Tusyan du Burkina Fasso : Tête plate et carrée, bouche horizontale, petits yeux ronds, tête d’oiseau sur le front. L’oiseau – tête date de 1934 et à cette époque, aucun masque Tusyan ou sa reproduction n’avaient encore pénétré en Europe. Sans doute peut – on expliquer ces similitudes par un mode de création partagé par les artistes traditionnels africains et ceux de l’avant – garde européenne ? C’est-à-dire un mode de création conceptuel et idéographique qui permet de proposer des solutions similaires aux mêmes problématiques plastiques sans qu’il y ait eu forcément contact.
Masque Ioniakê,Tusyan, Burkina Fasso
Max Ernst
L’oiseau – tête 1934-1935
Enfin, le type de relation le plus étonnant, c’est le contresens créatif comme l’erreur d’interprétation du Nez de Giacometti qui transforme en un long nez, digne de Pinocchio, ce qui était, dans le masque –heaume du Baining de Nouvelle Bretagne, un mégaphone c’est-à-dire plutôt la bouche.
Masque -heaume, Baining, Nouvelle – Bretagne
Giacometti le Nez 1947
Aujourd’hui, ce sont les liens d’un artiste contemporain, Arman avec l’art africain qui seront évoqués.
Saviez – vous qu’Arman a été non seulement un des collectionneurs les plus renommés d’arts africains mais aussi un excellent connaisseur, un expert même, au point que cette activité finissait par dévorer le temps de création personnelle. Arman était collectionneur, accumulateur par nature et appartenait à une famille portée sur la conservation et l’accumulation de menus objets.
Arman Ogbonossima 1994
Selon son analyse, si les artistes modernes s’intéressaient à l’invention plastique, au traitement des volumes, aux solutions formelles du traitement du visage et du corps des œuvres africaines, les plasticiens contemporains étaient davantage fascinés par la force et l’impact visuels des créations autrefois désignés comme des objets tribaux ou des fétiches.
Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’art africain, confie Arman, j’étais attiré par les objets recouverts de matériaux et investis d’un pouvoir magique. Ces fétiches, qui témoignaient d’un sens de l’accumulation, me semblaient proches de certaines de mes œuvres par la multiplication des éléments sur toute la surface et par le pouvoir de suggestion que cela leur donnait. Ma longue relation avec la sculpture africaine en tant que collectionneur m’a permis de mieux comprendre ce qu’était le « bon » art.
Arman
Parade de reliquaires
Ainsi lorsqu’il eu connaissance de l’art africain, vers 1954, à l’âge de vingt –six ou vingt sept ans, il a été très attiré par les fétiches à clous très accumulatifs comme ceux des Téké. Cependant, pour lui, c’est une rencontre plus qu’une influence. La parenté avec sa propre démarche a suscité son intérêt. Il a d’ailleurs créé en 1960 une accumulation de revolvers soudés, assez menaçante qu’il a titré Fétiche à clous.
Fétiche à clous Grand bakongo, Congo
Arman Fétiche à clous 1960
Ce qui l’intéresse tout particulièrement, c’est que l’art traditionnel africain n’est pas un art gratuit, uniquement décoratif mais que l’on y perçoit une spiritualité, une inquiétude métaphysique qui lui confère toute sa force.
Un ouvrage de 2002, Africarmania, puis plusieurs expositions montrent de nouvelles accumulations d’Arman réalisés avec des objets africains. En intégrant de vrais objets africains dans ses sculptures, il revient à la problématique de l’objet amorcée dès les débuts du Nouveau Réalisme.
Arman Accumulation d’âmes 1972
Il lui est arrivé aussi d’infliger à des mauvaises copies de masques Makondé le même traitement qu’aux violons, sous l’influence d’expositions vues dans son enfance où l’on présentait des coupes de voitures ou autres productions industrielles pour en dévoiler l’intérieur. Mais, en expert avisé, pour ces manipulations, découpures ou inclusions, il a toujours choisi des objets de peu de valeur esthétique contrairement à ces quelques quatre -cents œuvres exceptionnelles, disposées dans ces lieux de vie en groupes par catégories, comme en de gigantesques accumulations.
Arman multiude twins 1989
Arman accumulation de poulies de métiers à tisser 1992