Balade dans les creux de la paroi
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Michel Jullien – Les Combarelles [L’écarquillé – 2017]
Article écrit pour Le Matricule des anges
Le mystère de l’art pariétal est inépuisable, certainement. Voilà qui semble une lapalissade, et pourtant : comment s’imaginer la surprise de ceux qui les premiers mirent les pieds dans ces grottes fermées (la grotte, un endroit de lui-même mystérieux, inépuisable) et découvrirent sur leurs parois des dessins aussi frustres que sophistiqués ? Leur découverte fut tardive (Altamira, fin XIXème, puis très vite d’autres), comme ne manque pas de le rappeler Michel Jullien dans cet essai rêveur. Plus qu’un essai, une dérive, le goût de se laisser porter par l’enchantement, la fascination ; se laisser porter, pour tout dire, par le désir. Un désir qui associe, qui digresse, qui tourne autour du pot, qui n’en fait qu’à sa tête, qui moque un peu parfois (Sarkozy à Lascaux, ce n’est pas exactement Malraux, et ses propos eurent le mérite de la confusion). Les Combarelles n’est pas une tentative d’épuiser la grotte du même nom ; c’est plutôt une tentative d’épuiser un imaginaire fuyant (que sait-on de source sûre à propos de l’art pariétal ? à peu près rien) sans s’épuiser dans l’imaginaire. De tourner autour de la question sans en faire le tour. De jouer de la surimpression, comme le faisaient dans leur art ces hommes qu’on dit « des cavernes » alors même que ces cavernes n’étaient certainement pas leurs lieux de vie. Des lieux où ils firent œuvre, des lieux « façonnés de longtemps » qui restèrent scellés à l’abri pendant des millénaires, qu’on rouvrit soudain avant de les refermer presque aussitôt. « Le temps des Combarelles coiffe de beaucoup nos origines », dit encore l’auteur, manière de ne pas se laisser impressionner par l’étrange impression de continuité discontinue que provoque en nous la contemplation des ces peintures. Celles d’une époque si lointaine, faites par des hommes qui ne sont pas nous, mais sont aussi des hommes.
Jullien parle en amateur, s’éclairant parmi les boyaux à la lanterne de son bon vouloir et de ses connaissances, glanées le long du chemin, mais certainement pas pauvres. La lumière soudain brutale de la lanterne éclaire une portion de paroi, mais celle-ci, forcément, ne se défait pas si facilement de sa part d’ombre (« J’aime ce qui m’éblouit puis accentue l’obscur à l’intérieur de moi », scande l’épigraphe de René Char). Il regarde ces bisons, ces chevaux enchevêtrés, ces rares figures humaines, ces mains qui ont posées leurs contours en des temps antédiluviens et il s’interroge, parfois perplexe, le plus souvent joueur ; il compare, recoupe, sans rigidité théorique ; il s’éloigne, part, revient, affine ou grossit le trait. Il ne cherche pas à recoller les morceaux d’un puzzle impossible, préférant suivre une découpe personnelle, comme ces « tracés rapportés » qui aident à mieux discerner les courbes d’un mammouth dans l’embrouillamini des graphies creusées à même la paroi, se confondant avec elle.
Une grotte, c’est un peu comme la haute montagne, dit-il, image à l’appui ; une image en appelant toujours une autre (Pompéi, Hiroshima, un film de Fellini...). Une grotte, c’est un peu une capsule temporelle, dit-il encore, l’occasion de digresser sur la sonde Voyager, autre personnage fondamental de ce texte, et son disque en or où sont gravés les mille manières de dire bonjour en une infinité de langue (et où s’entassent aussi, comme dans son livre, une infinité d’image ; un casse-tête, un caléidoscope). Les êtres improbables qui un jour (quand ? jamais certainement) découvriront cette documentation, ces traces contradictoires d’une civilisation, seront-ils semblables à l’abbé Breuil, à Leroi-Gourhan, à ces pionniers dans la découverte et l’interprétation (forcément douteuse, forcément partiale, l’impossible rêve de la classification) d’un art pariétal que nous ne comprenons ni ne pourrons jamais comprendre ? Mais l’important, ici, n’est pas de comprendre. D’enrichir, plutôt, chemin faisant. Point chez Jullien de salmigondis mystiques autour d’invérifiables rites chamaniques. Son rapport à la « panoplie pariétale » est à la fois plus terre-à-terre en ce qu’il ne se prétend pas ventriloque et plus poétique en ce qu’il suit des lois d’association qui font le sel du travail littéraire. Un travail sur la sensation plus que sur le fait ; une sorte d’autobiographie en creux du regard, celui de l’auteur sur un art insaisissable.