Magazine Asie
En janvier, je me suis astreinte au défi proposé par David Meulemans pour les utilisateurs de « DraftQuest » : écrire quinze minutes par jour et voir où cela nous mène, quelle fiction serait engendrée.J'ai détourné l'affaire, me contentant de remplir deux pages par jour d'un cahier (en respectant le temps imposé). Si au début j'ai choisi de travailler à partir de couleurs, pour m'inspirer, le projet a évolué vers un travail de journal de création de mon texte en cours.La lecture de « Comment naît un roman (ou pas) » de Marie-Aude Murail où elle raconte le processus de fabrication de son ouvrage « Le tueur à la cravate » m'a fortement influencé vers cette voie.Voici le dernier texte du mois de janvier. Je souhaite continuer l’exercice au moins jusqu'à ce que ce mon projet en cours soit achevé.
31 janvier, marron
Marron clair et verdâtre.
La couleur de la Seine en crue qui embarque tout sur les berges, et rappelle dans son étalement qu'il est nécessaire de lui laisser la plaine. Plaine alluviale n'appartient à personne d'autre que l'eau. Rivières et fleuves encadrés, bétonnés, délimités par les hommes imposent leur nature. Indépendante. Impétueuse.Les débordements se font réguliers. Pourtant, notre faculté d'oublie n'a de cesse de me surprendre.
Les limons charriés n'enrichissent plus la terre. Les engrais viennent d'ailleurs. Des hommes. De leur artificialité empoissonnée.
La Seine commence sa décrue. Dans son sillage, la boue demeure, riche et nourricière. Des arbres morts, branchages et détritus. Canettes. Sacs poubelles. Le grand nettoyage du lit s'achève en une lit marron inesthétique. Murs et pavés de la villes doivent maintenant être récurés. Paradoxe.
L’hygiénique vision de l'homme du XXIe s’accommode mal des hoquets des forces naturelles. Pourtant, à la fin, ces dernières gagnent toujours.
Laissons donc en prévision, un peu de place à l'eau si l'on souhaite éviter les inondations répétés. Les inondations qui s'infiltrent dans les murs, sapent les fondations, usent les barrières, et toujours causent des ravages dont nous sommes les seuls responsables. Vanités et arrogances humaines ensevelies sous l'étendue marron. Lissées.
Ce que nous imposons à la Terre, nous l'imposons à nos cœurs. Se blinder. Se murer. Contenir ses émotions. Colmater les brèches pour prévenir l'inondation. Se retenir. Se restreindre. Respecter les cadres sociaux. Bétonner l'intérieur. Suivre le cours balisé, passer sous le pont, s'adapter au tuyau sous-terrain du canal.Un jour, la crue, l'inondation.Le barrage qui cède. Le pont emporté. Un désastre d'eau. Parfois de sang. La revanche du liquide.
À refuser de méandrer tranquille sur la plaine, de dépenser son trop plein d'énergie et d'émotions, l'homme fabrique les conditions de l'inondation. Laissons les plaines aux forêts, aux rizières, aux cultures inondables amies de l'eau et des limons. Profitons des crues pour monter sur les hauteurs. Observons le spectacle de l'eau vive libre.
Acception l’infiltration. Les débordements. L'eau, elle, trouve toujours son chemin.
Photos de la Seine prises à paris le dimanche 28 janvier 2018.
Copyright : Marianne Ciaudo