Communistes: l'espérance d'un amour

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit
© Droits réservés. Reproduction interdite. Madeleine Delbrêl(1904-1964), poète, assistante sociale et mystique.
L’envergure de «l’idée communiste», telle que Marx l’a esquissée, la construction de «l’homme nouveau», à la différence des chrétiens engagés dans le dialogue «de fond» avec des communistes comme Roger Garaudy, Gilbert Mury ou André Moine, cette problématique philosophique, ou politique, en tout cas intellectuelle, n’intéresse pas Madeleine Delbrêl. 

Pour les avoir côtoyés de 1933 à 1957 à Ivry, ville de Maurice Thorez, «ville-capitale» selon elle du marxisme français de son époque, elle
aime les communistes, mais elle est en «terre de mission», elle veut évangéliser, convertir, ces athées.
A-t-elle été «utilisée» par la hiérarchie ecclésiastique pour contrer l’influence communiste indéniable à cette époque sur nombre de chrétiens y compris prêtres ou responsables laïques? C’est possible, mais en réalité sans importance, car elle porte une parole si sincère, si bienveillante, et si claire par son
refus de tout syncrétisme christiano-marxiste , qu’elle peut être entendue sans crainte  par les marxistes comme par les chrétiens, et encore aujourd’hui porter des fruits.

 A.R

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Dans le Parti communiste, je suis persuadée que le mobile le plus puissant qui fasse agir un communiste est, très souvent, pour ne pas dire le plus souvent, l'amour. L'espérance communiste est l'espérance d'un amour, c'est un amour qui espère quelque chose. Je me rends trop bien compte de ce que cette affirmation peut avoir d'insolite pour ne pas m'abriter derrière celle que j'ai déjà évoquée plusieurs fois : la religieuse, soeur d'un communiste (4). Ce n'est, en effet, que dans un regard fraternel que nous pouvons comprendre la part d'amour qui reste prédominante dans l'action, non pas du Parti communiste, mais des hommes qui composent le Parti communiste. Même si, comme partout, il y a chez les communistes de faux communistes, des communistes qui ont pensé trouver leur intérêt dans le fait d'être communiste, même si certains autres ont perdu en vieillissant l'objectif primitif vers lequel ils comptaient marcher, je prétends que la plupart des communistes ne sont communistes que parce qu'ils aiment les hommes, que parce qu'ils n'ont pas voulu prendre leur parti de ce qui, dans le monde, est souffrance évitable. C’est qu'ils n'ont pas voulu prendre leur parti d'une injustice dont ils n'étaient pas certains qu'elle fût nécessaire. Ce que leur amour espère, c'est un monde à venir où on ne verra plus, par manque d'argent, des enfants garder une fringale d'études sans que les études ne viennent jamais. On n'y verra plus de gens travailler à fabriquer des richesses dont ils n'auront pas le droit de se servir. On n'y verra plus des machines produire du superflu pour les uns, et menacer la vie des autres. On pourra, dans ce monde, être un travailleur manuel, sans être fatalement privé de liberté, à côté des non-manuels qui eux, semblent avoir normalement le privilège de la liberté. Dans ce monde on ne pleurera plus pour des souffrances qui sont évitables et on pourra se réjouir des joies faites pour tous et qui, mises à prix, sont devenues des joies de quelques-uns. C'est avec toute la force de leurs coeurs rassemblés que les communistes espèrent un bonheur. Et si ce bonheur est un bonheur d'ordre économique basé sur une meilleure répartition des richesses, cela ne veut pas dire que c'est un bonheur fait de marchandises achetées. Le manque d'argent, en effet, entraîne la privation de biens qui ne sont pas des biens économiques, tels que la culture, une certaine liberté, un certain épanouissement humain. Quand on parle de ce bonheur, il s'agit donc d'être précis et d'être nuancé. L'espérance communiste, à travers le monde entier, charrie d'innombrables espoirs personnels, l'espoir qu'un jour viendra où ce dont on a souffert n'existera plus; l'espoir qui, dans le coeur de chacun porte un nom particulier, un désir singulier; l'espoir de la femme qui dit : « Plus tard, il n'y aura plus d'hommes que le travail forcera à boire. » - l'espoir de la femme qui dit : «  Plus tard il n'y aura plus de guerre qui tueront les gosses de vingt ans. » - l'espoir du vieillard qui économise passionnément de quoi survivre, et qui dit : « Plus tard, quand on sera vieux, on vivra sans contrainte. » Dans tous ces espoirs les hommes reconnaissent l'écho de ce que chacun d'entre eux souffre. Ils reconnaissent leur propre malheur, accusé, condamné à disparaître, accusé d'être le vrai mal dont l'homme doit se libérer.
C'est parce que ces espoirs innombrables la vivifient que l'espérance du Parti communiste est une grande espérance. Il ne faut pas chercher ailleurs la principale cause de l'expansion communiste; cause sans laquelle tous les moyens mis en oeuvre par le communisme seraient incomplets et inefficaces, car cette espérance constitue leur dynamisme propre. C'est elle qui explique la ferveur unanime des plus obscurs militants : colleurs d’affiches ou distributeurs de tracts aux quatre coins du monde. Et c’est elle  qui s'explique spontanément au cours de la vie quotidienne : je rencontre le dernier jour de l'année une de mes amies, communiste, je lui dis : « Alors il faut se souhaiter une bonne année... Espérons quelle le sera. » Elle me répond : « Elle le sera sûrement puisque pour toi comme pour moi elle nous rapproche du but. » Madeleine Delbrêl Extrait deEspoir marxiste et espérance chrétienne (14 mai 1961), texte reproduit dans le Tome 12 des Œuvres Complètes : En dialogue avec les communistes, Editions Nouvelle Cité, 2014, pages 293 à 295.                                   Envoyer par e-mailBlogThis!Partager sur TwitterPartager sur FacebookPartager sur Pinterest Libellés : Divers auteurs, Marx, Témoignages