L'Histoire et la politique ont toujours entretenu des relations conflictuelles. Les dictature s'attachent généralement à occulter ou maquiller l'Histoire pour en éliminer les épisodes embarrassants, contraires à la ligne définie par l'idéologie au pouvoir. Dans les démocraties contemporaines, le souci d'entretenir un récit national, ciment possible - mais non certain - de cohésion sociale, se heurte aux tenants du politiquement correct et aux mouvements communautaristes désireux de proposer, voire d'imposer de nouvelles versions de l'Histoire, revues au prisme de leurs intérêts respectifs. Ces situations, alliées à une culture générale d'où l'Histoire est de plus en plus absente, condamnent les peuples, et a fortiori les princes qui les gouvernent, à oublier leur passé. Or, on prête à Churchill un mot d'une cruelle lucidité : " un peuple qui oublie son passé est condamné à le revivre. " Marx, reprenant Hegel, avait déjà averti ses lecteurs dans une formule de son essai consacré au coup d'Etat de 1851, aussi célèbre que grinçante : " tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois [...] la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. "
Le livre de Dimitri Casali et Olivier Gracia, L'Histoire se répète toujours deux fois (Larousse, 254 pages 17,95 €) tend à démontrer que la seconde pourrait se révéler aussi tragique que la première. L'ouvrage évite, et ce n'est pas le moindre de ses mérites, de céder à la mode trop répandue de l'anachronisme qui consiste à juger les personnages du passé à l'aune des " valeurs " présentes. Sa démarche intéresse autant qu'elle inquiète, puisque les auteurs relèvent, sur de nombreux thèmes, des analogies entre certains épisodes politiques et économiques des trois siècles précédents et le contexte de la société d'aujourd'hui.
Ils relèvent ainsi des parallèles entre les années qui annoncèrent la Révolution de 1789 et nos jours, parmi lesquels figurent les privilèges jugés exorbitants des élites, les faveurs judiciaires dont elles bénéficient, le déclin de la méritocratie démocratique issue de la Révolution qui sonne le retour du monde inégalitaire de l'Ancien régime, une paysannerie appauvrie, une dette abyssale, sans parler de la désacralisation de l'image du souverain. On pourrait aussi ajouter cette recherche de " pureté " et de " vertu ", incarnée par Robespierre dont se réclament quelques personnalités politiques actuelles, lesquelles feignent d'ignorer que ces objectifs conduisent toujours à une forme de tyrannie.
Les parallèles émergent de manière encore plus saisissante avec la période de l'entre-deux-guerres. La crise de 2008 n'est pas sans rappeler celle de 1929 ; leurs origines sont communes : le comportement irrationnel d'une poignée de spéculateurs appartenant au monde de la finance uniquement mus par le lucre ; leurs conséquences sont assez similaires : appauvrissement et précarité font le lit des extrêmes, suscitent le discrédit des responsables politiques supposés corrompus - rejet d'autant plus radical que certains, même très minoritaires, le sont effectivement. La création de boucs émissaires, la xénophobie caractérisent les deux époques, de même que l'arrivée au pouvoir, ou à son seuil, des populismes.
D'autres situations rappellent de mauvais souvenirs. Les auteurs soulignent ainsi le parallèle entre " la peur des rouges " qui émergea dans les années 1930 et celle " d'un nouveau péril islamique radical " aujourd'hui. A ces pestes rouges et vertes, on pourrait d'ailleurs ajouter la peste brune car les analogies sont tout aussi saisissantes, en particulier s'agissant de la naïveté coupable des élites politiques qui, par idéologie ou pacifisme hier, par complexe postcolonial ou calculs électoraux maintenant, refusent de nommer le danger, de l'identifier et de le combattre, sans compter l'émergence d'intellectuels et de mouvements " collabos ", pour reprendre le mot de Jacques Julliard, de plus en plus actifs.
La dernière partie de l'essai aborde la question du souverain. Les auteurs y opèrent un rapprochement assez hardi entre la Monarchie de Juillet et la " République monarchique en marche ". Pour surprenante qu'elle soit, cette analyse retient l'attention du lecteur qui y trouvera matière à réflexion.
Bien sûr, certains intellectuels contesteront la démarche qui consiste à reprendre des modèles déjà connus pour tenter d'expliquer un présent dont la lecture complexe se révèle difficile, voire à en tirer des oracles. Ils préféreront se focaliser sur les différences plutôt que sur les similitudes et feront leur le mot d'Héraclite suivant lequel " on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ". Pour autant, on aurait tort de pécher par angélisme. Car le flux immédiat de l'information et les nouvelles technologies, inexistants à l'époque de la Révolution où à celle de l'entre-deux-guerres, amplifie les effets d'un contexte donné. Fouquier-Tinville, l'accusateur public du Tribunal révolutionnaire, n'est plus unique ; ses clones se sont multipliés par milliers sur les réseaux sociaux. Et l'on se prend à redouter que Dimitri Casali et Olivier Gracia aient - au moins partiellement - raison, sans que l'alerte qu'ils lancent ne soit suivie d'un quelconque effet.
Signaler ce contenu comme inappropriéÀ propos de T.Savatier
Ecrivain, historien, passionné d'art et de littérature, mais aussi consultant en intelligence économique et en management interculturel... Curieux mélange de genres qui, cependant, communiquent par de multiples passerelles.
J'ai emprunté aux mémoires de Gaston Ferdière le titre de ce blog parce que les artistes, c'est bien connu, sont presque toujours de mauvaises fréquentations...
Livres publiés :
Théophile Gautier, Lettres à la Présidente et poésies érotiques, Honoré Campion, 2002
Une femme trop gaie, biographie d'un amour de Baudelaire, CNRS Editions, 2003
L'Origine du monde, histoire d'un tableau de Gustave Courbet, Bartillat, 2006
Courbet e l'origine del mondo. Storia di un quadro scandaloso, Medusa edizioni, 2008
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