Chaque mois (dans ses 10 derniers jours) je vous parle de littérature. Tout comme je vous parle de musique (vers le milieu) et de cinéma (dans les 10 premiers jours).
Je vous parle d'un livre qui m'a bouleversé et je tente de vous dire pourquoi. En essayant de vous donner envie de le lire. Parce que lire, c'est respirer sainement.
Lire, c'est penser, réfléchir, parler à un ami, l'écouter surtout, l'entendre, le comprendre (ou pas), c'est s'immiscer dans une réalité qui n'est pas nécessairement la nôtre, c'est oser braver ses préjugés, c'est s'ouvrir, découvrir de nouveaux angles sur la vie, sur soi-même, sur les autres. C'est prêter une oreille à des confessions , une culture, des moeurs, des fantasmes, c'est avoir l'oeil et la tête sur de nouvelles conceptions, se permettre un nouveau regard. C'est faire acte de générosité mentale. C'est générateur aussi. Ça fait fleurir les idées. Voyager les rêves. Ça intensifie les cauchemars. Fabrique des images.
Lire c'est forger ses propres pensées en les confrontant à celles des autres, en les comparant, en s'en inspirant. C'est découvrir un rythme, se découvrir une musique mentale. C'est danser sur le cerveau d'un autre. C'est une inspiration, un souffle.
Lire c'est visiter la vie des autres et un peu la nôtre aussi.
Lire c'est un peu beaucoup mon métier et c'est pour moi respirer.
LE MÉPRIS d'ALBERTO MORAVIA
J'avais trouvé ce livre. Par terre. Pas une brique. Un tout petit livre olive. J'ai dû le lire en deux heures. Je découvrais un fameux auteur.
Né de ses problèmes du coeur avec sa femme d'alors, l'écrivaine Elsa Morante, Le Mépris d'Alberto Moravia raconte la riche histoire d'un mariage en déclin. Le scénariste Riccardo Molteni se fait dire par sa femme, Emilia, que non seulement ne l'aime-t-elle plus, mais qu'en plus, être autour de lui rend sa vie à elle, lamentable.
Écrit avec un précis sens de la mélancolie, la trame narrative expose une sorte de huis clos matrimonial duquel on voudrait détourner l'attention, parce que trop privé, mais aussi développe un côté tragique tirant vers la farce. Très tôt dans le livre on comprend que l'amour entre les deux êtres est noyé. Du moins, du point de vue d'Emilia. Riccardo, pour sa part, cherche à comprendre ce qu'il aurait fait de mal. Questionnant sans cesse sa femme sur l'état dans laquelle il la place. Le livre ne met en scène que deux autres personnages, le rustre producteur de film Battista et le réalisateur de film allemand Reinhold. Ce qui ajoute à l'intimité du récit. Le premier produit un film à Capri, le second, le tournera, une version moderne de l'Odyssée d'Homère.
Le couple Riccardo/Emilia est invité à séjourner dans la luxueuse villa du producteur, entre autre parce que le producteur Battista, un arrogant individu, à tout à fait les yeux sur la belle Emilia. L'endroit est paradisiaque, mais le scénariste y vivra l'enfer moral. La tension dans le couple ne fait que grandir. Emilia prend encore plus ses distances. Elle voit son mari tel un fantôme errant. Une esquisse de celui qu'elle a déjà aimé. L'agitation de celui-ci s'en trouve décuplé. Celui-ci est déchiré entre deux versions de son scénario. L'une qui plaira au producteur, une Odyssée spectaculaire, et une autre plus philosophique qui plairait davantage au réalisateur allemand.
L'écriture de Moravia est précise et juste. Il calcule subtilement et dissèque l'amour entre deux êtres. Son absence surtout. Si tu as quelque chose, ceci ne veut jamais dire que tu la possèdes vraiment, ni ne la comprend. Moravia nous parle de beauté. Le film de Godard, tiré du livre, nous le rappelle davantage. La beauté est partout. Emilia possède la beauté mais ne l'a pas vraiment. Riccardo la comprend mais ne la possèdes pas (plus) ni ne l'a. Le producteur l'achète mais ne la comprend pas. Le réalisateur tente de la tourner.
Il y a beaucoup de substance dans les écrits de Moravia. D'observations lucides. D'humour dans la déconfiture aussi. On sent la mise en abîmes d'une vision masculine de l'amour dans ce livre. Écrit et publié en 1954. Ce qui peut paraître lourd comme sujet ne l'est pas tant que ça. Moravia sait placer les mots justes. Il est fin observateur de l'humeur humaine.
Au début on veut se retirer de leur intimité, mais on se laisse prendre au jeu et on ne veut plus quitter ce couple qui fond.
J'ai adoré le livre. Adoré tout autant le film tiré du livre par Godard. Je le relirais.
En deux heures surement encore.