Il y a un an, Diateino était présent au FIBD d’Angoulême pour présenter les désopilants albums de Fix et la version illustrée de Reinventing Organizations. Le dernier jour du festival, j’ai profité d’un moment de calme pour m’entretenir avec Etienne Appert, le talentueux dessinateur qui a travaillé avec Frédéric Laloux sur cette nouvelle édition du livre.
Anaïs Bon : Comment ce projet de version illustrée de Reinventing Organizations est-il né avec Frédéric Laloux ?
Etienne Appert : Dans la pratique, cela s’est fait très simplement par une amie qui a eu la bonne idée de lui parler de mon travail à un moment où il avait sans qu’elle le sache une envie de rendre plus accessible le contenu de son livre. Et dès que nous nous sommes rencontrés, nous avons senti tout de suite qu’il y avait quelque chose à faire ensemble.
Elle l’avait mis en lien avec moi avec l’idée que peut-être il serait intéressé de mettre quelques dessins dans la version française au début du livre, au moment où il n’existait encore qu’en anglais. En fait quand on a commencé à discuter et qu’il a compris ce que je faisais, il m’a dit : « ce qu’il faut que l’on fasse, c’est réécrire complètement un autre livre pour ceux qui ne liront pas les 500 pages, et que l’on rediffuse ce livre-là dans les pays où est sorti le premier. » Alors on s’est embarqués dans une aventure qui a duré autour de deux ans, où l’on a essayé de trouver une forme qui soit la plus fluide possible entre l’image et le texte.
Comment avez-vous travaillé ensemble ?
Frédéric a vraiment essayé de m’utiliser au maximum, parfois pour partir du dessin et écrire le texte, parfois pour faire des dessins en partant du texte. C’était beaucoup d’allers-retours, beaucoup de recherches. J’ai esquissé dix fois plus de dessins que ce que l’on a gardé parce qu’il y avait vraiment le désir de choisir les visuels les plus limpides, d’utiliser vraiment le dessin pour simplifier l’appropriation très rapide par le lecteur d’un contenu qui est tout de même assez abstrait.
C’est un peu ton cheval de bataille, utiliser le dessin pour faire comprendre les choses.
Oui c’est ce que j’essaie de faire, rendre visible l’invisible, les représentations mentales, les paradigmes, les métaphores plus ou moins conscientes qui conditionnent ensuite nos actions, nos schémas mentaux, nos politiques…
Quand c’est visible, on peut agir dessus ? A partir du moment où c’est dessiné, ça peut être redessiné !
Absolument, on peut décider d’en changer, ou de le garder en conscience. Il y a un travail de mise à la conscience qui crée des possibles.
Connaissais-tu déjà le travail de Frédéric ?
Non, mais il s’appuie beaucoup sur Ken Wilber dans toute la première partie du livre ce qui m’a parlé d’emblée. Cela faisait très longtemps que je n’avais pas lu et étudié Ken Wilber, mais en 2001 j’ai passé six mois en Inde et le seul livre que j’avais emmené c’était Sex, Ecology, Spirituality de Ken Wilber. J’avais adoré, c’est vraiment très stimulant. Alors tout à coup Frédéric qui arrive à faire le lien avec l’entreprise, ce que d’autres avaient essayé de faire à l’époque et que je n’avais pas trouvé du tout convaincant, cela m’a donné envie de le voir.
Y a-t-il des choses en plus par rapport à la vision initiale ?
Dans l’écriture de ce livre-là, il m’est arrivé plusieurs fois de lui envoyer des dessins où je formulais les objections du lecteur. A la fin de la partie où il reprend le modèle des stades de Ken Wilber, il y a des gens qui détestent ce modèle et le trouvent simpliste, moi j’aime beaucoup. Je lui ai envoyé un dessin où je me suis amusé à imaginer les objections d’une personne de niveau rouge, de niveau ambre, de niveau orange, parce que cela peut couvrir à peu près les objections de tous les lecteurs. Et du coup, cela lui permet à lui, ayant cette formulation des objections dans le dessin, d’y répondre. Il y avait entre nous un dialogue possible qui a nourri l’écriture.
Avais-tu déjà approché tous les exemples qui sont cités dans le livre ?
J’avais vaguement entendu parler du modèle qu’il décrit, mais je ne connaissais pas les entreprises. Je connais très bien le modèle et les limites du modèle précédent, mais pas ce modèle émergent.
Quid de toute la partie ayant trait au fait de trouver sa justesse personnelle ?
Dans ce que j’ai vécu en travaillant en entreprise et en en partant, il y a quelque chose d’assez courant. Il y a plein de gens aujourd’hui qui sont dans des organisations et qui ne trouvent absolument pas le moyen de s’y déployer de façon saine, honnête, intègre, et qui cherchent une façon de partir et de trouver leur propre modèle. Je l’ai fait, et ce qu’amènent les nouveaux modèles c’est l’espérance que peut-être certains pourront se déployer à l’intérieur de l’organisation et trouver ce que moi j’ai pu trouver en partant, en continuant à travailler dans les organisations mais avec des règles du jeu et une atmosphère complètement différentes.
Tu y crois ?
Je trouve ça convaincant, je pense qu’il y a vraiment quelque chose qui est en train de se passer, qu’il y a vraiment de nouveaux modèles qui vont pouvoir émerger, que l’on a de la peine à imaginer tellement ils sont différents de ce dont on a l’habitude. Ce que dit très bien Ken Wilber dans son modèle, c’est que quand un nouveau paradigme émerge, il apporte plein de nouveaux possibles mais aussi des tas de pathologies nouvelles. Il n’y a pas d’idéalisme là-dedans : il y aura de nouvelles pathologies, il y aura de nouveaux problèmes, il faudra aussi gérer les pathologies des modèles précédents qui vont continuer à cohabiter… Ce n’est pas idéaliste comme vision mais je pense que vraiment il y a une émergence de quelque chose de nouveau, de très intéressant.
Quels sont les retours que tu as par rapport à la version illustrée depuis qu’elle est sortie ?
On a de très bons retours sur la facilité à lire et l’apport du dessin. Beaucoup de gens disent que cela a clarifié les choses pour eux. Ce n’est pas magique, mais j’espère que cela va contribuer à ce que ce propos trouve sa place et j’en serai très heureux.