Le rapport du coroner ne sortira que dans 6 mois, mais c'est ce qui filtre entretemps.
On l'a retrouvé mort. Pour retrouver, il faut avoir perdu. Mon cousin Gregory s'est perdu dans l'alcool on ne sait trop quand. Ce sont des choses qui se glissent en l'Homme sournoisement. Comme la folie.
La folie de l'auto destruction.
Gregory picolait beaucoup. Ça l'a tué. À 43 ans. Calisse que c'est con. Il s'était perdu.
Ma mère et ses deux frères, les deux belles-soeurs, ma cousine, ont beaucoup pleuré ensemble. Ils ont ri aussi. Ils ont fait tous les temps. Parce que des situations du genre vous font vivre toute les météos intérieures. Personne ne peut se préparer à perdre un enfant, un frère, un neveu pour rien. Mon oncle, Fox, le jeune frère de ma mère, était le parrain de Gregory. Fox et sa conjointe n'ont jamais eu d'enfants. Gregory était le plus près de ce qu'ils auraient jamais comme fils. Les derniers jours ont été tout ce qu'il y a de plus déchirant pour les coeurs de ma famille.
Ils n'ont pas laissé le silence les alourdir. Ils se sont beaucoup parlé. Comme si le grand frère de ma mère, ma mère et son petit frère étaient encore en 1965. Ils se sont même raconté des anecdotes datant des années 50. C'est là qu'ils ont beaucoup ri. Quand Fox s'est rappelé une anecdote, où il y défendait subtilement ma mère avec vengeance, une anecdote dont elle ne se rappelait de rien, ça a amusé tout le monde.
Je n'y étais pas quand il a raconté son anecdote. Mais je l'ai trouvé habile. Dans un moment dramatique et intense du genre, il lui a été tout naturel de raconter une histoire où un frère se braquait pour protéger sa soeur. Qu'elle soit vraie ou non, son anecdote reflétait la situation qu'ils vivaient en ce moment. Frères, soeurs et belles soeurs unis afin de ne pas se noyer dans le chagrin et nager en eaux saines. Je l'ai toujours trouvé plus brillant que les autres cet oncle. Des deux familles confondus.
Étrangement, 5 jours après avoir appris sa mort, moi qui avait très peu pensé à Gregory dans ma vie, y ait pensé toute la journée. Je l'ai senti très près de moi. Mais ça, c'est toujours le piège du "maintenant qu'il est trop tard, qu'aurais-je du/pu vraiment faire?".
Toujours
Je pense à mon oncle, à ma tante, ma cousine.
Ma mère. Son plus jeune frère, sa compagne de vie.
Le silence ne doit plus être lourd.
Le soleil doit maintenant avoir un visage.
Il avait encore beaucoup de temps prévu devant lui.
Il le passera maintenant à veiller sur nous.
Toujours en première ligne.