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Amputé des deux jambes, Edgard John-Augustin est devenu Bionic Body

Publié le 24 janvier 2018 par Khaled Benokba

A son arrivée en métropole, le Guyanais a découvert la musculation et le 17 mai 2015, il remportait les championnats d’Europe handisport de bodybuilding.

L’histoire d’Edgard John-Augustin s’articule en plusieurs actes. Tout d’abord, la tragédie. Alors âgé seulement de 4 ans, il perd l’usage de ses deux jambes. Dans sa Guyane natale, sa mère perd le contrôle de sa voiture. Le drame est inéluctable. « Je me suis réveillé à l’hôpital. J’étais au sol, amputé de mes deux jambes, explique-t-il. J’étais à deux doigts d’y rester. »

Le combat s’engage alors. Il débute par une année en fauteuil roulant, lors de sa rééducation en métropole dans le Val-de-Marne. Viens ensuite le temps des nouvelles jambes. Edgard (ré)apprend à marcher, à courir. A vivre tout simplement. Il revient en Guyane et doit se faire une raison. Il va porter des prothèses jusqu’à la fin de sa vie. Malgré la lourde épreuve, il garde le sourire et gagne son combat par KO. « Ça a été un avantage d’être amputé si jeune. Lorsque tu es enfant, tu es insouciant. C’est un mal pour un bien que ça soit arrivé à ce moment-là. Je suis blindé à tout jamais. »

Son handicap n’a jamais été et ne sera jamais un frein. Bien au contraire, c’est une force. Le jeune Guyanais vit et profite de sa jeunesse comme tout gamin de son âge. Téméraire, il casse souvent ses prothèses. À l’époque, il n’est pas encore sponsorisé par Össur et doit jongler avec une unique paire annuelle remboursée par la sécurité sociale. Celui qui est aujourd’hui père d’un garçon de 5 ans revient en métropole à 21 ans pour ses études. BTS en poche, il trouve un emploi de commercial qu’il ne quittera jamais. « J’ai rapidement accroché avec la France, souligne-t-il. J’ai apprécié cette ouverture, ce mélange. J’ai mûri.»

Amputé des deux jambes, Edgard John-Augustin est devenu Bionic Body

En métropole, il découvre la musculation. C’est le second acte : la naissance d’un nouvel homme. Durant ses examens, Edgard cherche un moyen de décompresser. Il franchit la porte d’une salle « low cost » pour une séance d’essai. Coup de foudre. « J’ai apprécié la sensation. » Alors que la force athlétique est un sport répandu en Guyane, il faut attendre son arrivée en France pour avoir le déclic. « Cela ne m’intéressait pas quand j’étais plus jeune. J’étais enrobé et je préférais manger les bons plats de ma mère devant l’ordinateur », s’esclaffe-t-il.

Edgard John-Augustin n’est pas encore « Bionic Body ». Il fréquente déjà ardemment les salles de musculation de la région parisienne, mais n’ose guère dévoiler ses prothèses. Il a honte. Alors, il se cache, feinte. « Je m’entraînais en jogging et je me changeais dans les toilettes. Seuls mes amis savaient que j’avais ce handicap. » Les questions autour de son cas se font pressantes. Le Guyanais travaille le haut de son corps, jamais les jambes. Lorsqu’il apprend que ses prothèses peuvent soutenir son poids, il s’y met. « Bionic Body » est sur le point d’accoucher.

En 2012, une collègue le met en contact avec un photographe bien connu. Ce dernier cherche un modèle atypique. Bingo ! Edgard envoie une lettre et est choisi. Taquin, le photographe publie une photo de son modèle sur le mur Facebook de l’athlète. Le personnage est né. C’est le troisième acte. La transformation. Ses amis choisissent un nom : Bionic pour la technologie et Body pour le sport. « C’était la folie, sourit-il. Sur les photos, on voyait les prothèses. Les gens ont découvert mon handicap et ce fut une surprise pour nombre d’entre eux. « Bionic Body » pouvait prendre le relais. »

Avec le temps, « Bionic Body » a peaufiné son image et se fixe toujours de nouveaux objectifs. Son rêve ? Devenir bodybuilder professionnel dans la catégorie handisport comme le Français Ludovic Marchand et son fauteuil roulant. Réaliste et mature, l’athlète est conscient de l’ampleur de la tâche. « Je me suis rendu compte que c’est assez limité, surtout en France. Par exemple, je n’ai pas d’informations à propos des compétitions auxquelles je peux participer », s’étonne-t-il. Ambitieux, Edgar se met en tête de participer au Top de Colmar, compétition hautement réputée en France. « La scène est grande, les concurrents viennent de toute l’Europe. L’année dernière, je n’ai pas pu y aller. Cette année, je m’y prépare. »

Au final, il fera le Grand Prix des Pyrénées en tant que seul athlète handisport. « Bionic Body » concourt avec les valides, remporte la compétition dans sa discipline (sic) et est contacté par le sélectionneur de l’Equipe de France pour participer au Championnat d’Europe. Une superbe expérience et un destin idyllique ou presque. Le Guyanais accepte rapidement la sélection en équipe nationale malgré un gros inconvénient : il devra concourir en fauteuil roulant. C’est une occasion rêvée de se tester face à la scène européenne. Bilan ? Une breloque en or.

Amputé des deux jambes, Edgard John-Augustin est devenu Bionic Body

« Bionic Body » savoure le fait de se mélanger avec les valides. « Tu as beaucoup plus de fierté quand tu participes avec les valides. Tu peux également douter, nuance-t-il. Tu te poses des questions par rapport à ton classement final. Est-il dû à la pitié des juges ? » A Colmar, il sera présent dans la catégorie handisport. En Alsace, les athlètes viennent et les juges se débrouillent. « Tu viens comme tu veux, c’est comme le McDonald », rit-il. Les conditions en France pour les bodybuilders handisport sont loin d’être optimales. Il existe seulement 2 compétitions : Colmar et La Ciotat. Pire, le Guyanais doit parfois justifier sa présence. « Pour le GP des Pyrénées, j’ai dû écrire une lettre au directeur afin d’attirer d’autres athlètes dans la même situation, explique-t-il, déçu. Il y a un public pour le handisport pourtant. Je reçois également beaucoup de questions pour savoir comment ils doivent faire pour participer. » Pour Edgard, le nerf de la guerre reste l’argent. Selon lui, le bodybuilding – ainsi que le sport en général – n’est qu’un vaste business. Le handisport ne rapporte pas assez. Fin de l’histoire.

Amputé des deux jambes, Edgard John-Augustin est devenu Bionic Body

Dans ces moments précis, le regard de « Bionic Body » se tourne vers les Etats-Unis. Royaume du bodybuilding, les athlètes handicapés sont mis en avant et reconnus à leur juste valeur. « Ils ont une certaine vision du mérite, de la méritocratie. No pain, no gain. D’autant plus que parmi les athlètes, il y a souvent des blessés de guerre. Ce n’est pas la vision française. » La tentation est grande. Avec le temps, le Guyanais s’interroge. Il reçoit souvent des messages qui l’encouragent à passer le cap et vivre son rêve américain. Mickael Louvel, bodybuilder amputé d’un bras et proche d’Edgar, l’avait prévenu. « Depuis le début, il me dit que le sport handi n’a pas d’avenir. Il a souvent été aux USA lui aussi. » Avec un fils de 5 ans, il est bien difficile pour « Bionic Daddy » d’envisager une aventure de l’autre côté de l’Atlantique.

L’ancien rondouillard n’a aucun tabou et sait se vendre, toujours de manière mesurée et intelligente. Très présent sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram), il a également sa chaîne YouTube et est ami avec un « podcasteur muscu » bien connu par ce petit monde qui ne cesse de pulluler : Tibo InShape. « Je l’adore. J’ai fait une vidéo avec lui. Il ne raconte pas de bêtises aux jeunes. Il a des sujets variés et intéressants. » Les bévues sont tentantes dans le sport, le dopage en fait partie. Présent dans de nombreuses disciplines, il n’est pas un tabou pour Edgar. Toujours plein de sagesse, il ne se voile pas la face. « Ça reste un tabou par rapport à l’éthique, mais il ne faut pas généraliser. Tu fais ce que tu veux, tu es assez grand pour faire tes choix. Tu prends des risques, tu assumes. »

Le Guyanais est très loin de toutes ces préoccupations. Plein de projets en tête, il a déjà goûté au monde de la photo, du cinéma. Il est gourmand et en redemande. « J’ai passé des castings afin d’être figurant. J’ai apprécié ce petit monde, narre-t-il. C’est un autre univers. Je suis curieux de nature. » Pour le moment, Edgard est concentré sur ses objectifs physiques. Il continue à répondre aux questions des curieux et motive les inconnus. « Lors d’une compétition, une femme est venue me remercier. Grâce à moi, son mari était sur scène malgré son handicap. Je reçois des messages de partout et dans tous les domaines. Je leur redonne envie de se battre. » « Bionic Body » n’est pas encore un super-héros mais il s’en rapproche.

Ecrit par Charles Chevillard – sports.vice.com


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