D’emblée, sur chacune de ces deux reprises, la voix soul et la guitare de Jono me font l’effet d’une petite bombe, et Counter Records, l’une des branches du célébrissime label londonien Ninja Tune, semble être là pour l’accompagner dans cette mission « révélation ».
Bien sûr, la prise de risques est néanmoins élevée. En effet, l’Anglais s’attaque à un album uniquement composé de reprises et, forcément, il sera difficile de ne pas se laisser aller aux comparaisons, comparaisons rarement pertinentes. C’est pourquoi, même lorsqu’il s’agira de chansons que je connaissais déjà, je ne dresserai aucun parallèle que ce soit avec leurs versions originales, mais vous parlerai des nouvelles versions de Jono McCleery, l’artiste qui réinterprète ces chansons que vous connaissiez peut-être, vous aussi, déjà.
« C’est quelque chose que j’ai toujours voulu essayer, mais il était important que je ressente une connexion vraiment forte avec les chansons. J’ai également regardé toutes les reprises que j’ai jouées en concert dans le passé et en ai trouvées certaines idéales pour ce projet, et je les ai jouées pendant si longtemps que c’est comme si elles étaient déjà les miennes. »
Parce qu’elles semblaient déjà lui appartenir, on comprend pourquoi il ne lui a fallu que dix jours pour enregistrer les douze chansons qu’il a choisies de réinterpréter et d’enregistrer à Londres. Ainsi, la plupart des voix ont été prises brutes, c’est-à-dire live, en même temps que les instruments. Aux côtés de Jono, on pourra entendre les percussions de Dan See, la basse de Milo Fitzpatrick et les claviers de Steve Pringle, sans oublier les arrangements de Matt Kelly et la production et le mixage de Tim Rowkins.
Seeds Of A Dandelion s’ouvre sur des notes intimistes avec « Gabriel » de Roy Davis Jr, on aurait presque l’impression que Jono joue pour nous uniquement, dans la même pièce que nous. Des cordes de l’Iskra String Quartet viennent, tout en légèreté, nous rappeler que, non, nous ne sommes pas tout seuls…
Ensuite, « Brand new start » de Paul Weller est un superbe moment, chaleureux, auquel « Know who you are at every age » des Cocteau Twins succède sans dissonance aucune.
Rufus Wainwright ne doit pas manquer de rougir dès les premières notes de son « Dinner at eight », une nouvelle fois superbement intime, au point qu’il est difficile de ne pas imaginer sans peine de l’entendre un jour prochain incluse dans la bande originale d’un film.
L’une des références les plus évidentes de Jono reçoit ici un hommage vibrant. Je n’ai personnellement aucun doute sur les raisons qui lui ont fait choisir précisément ce titre que Jeff Buckley n’aura pas eu le temps de publier de son vivant. « Morning theft » est assurément un moment de bonheur mêlée de mélancolie, qui doit vraisemblablement se transformer en pur moment de grâce en direct. Jeff Buckley, qui lui aussi reprenait très souvent ses artistes favoris, sur scène comme sur disque.
À ce jour, mon morceau préféré – et de loin, tant il me donne des frissons à chaque nouvelle écoute – est la reprise « Ingenue » d’Atoms For Peace (groupe arc-en-ciel de Thom Yorke, Flea, Joey Waronker et Nigel Godrich). Vous ai-je dit que j’en ai des frissons à chaque fois ?
Jono McCleery n’a décidément peur de rien : une reprise vous condamne presque irrémédiablement aux comparaisons et, le plus souvent, aux critiques. Mais cela ne l’empêche pas de faire les choses avec simplicité, humilité. Alors, chanter la grande lady Billie Holiday ? Aucun souci, « God bless the child » lui va, à lui aussi, comme un gant.
Idem direz-vous pour une autre grande chanteuse adulée de notre époque cette fois-ci : Beyoncé et son « Halo », qu’il chante et a arrangé merveilleusement. Arrivés ici, on ne peut que, déjà, remarquer qu’il a réussi à faire effectivement en sorte que les chansons deviennent siennes sans que l’on s’en rende compte.
Au sein de Seeds Of A Dandelion, chacune des chansons devient une nouvelle œuvre, originale en quelque sorte. « Old man’s back again » de Scott Walker, « Wild is the wind » de Nina Simone (autre moment de frissons garanti), « Dream letter » de Tim Buckley (que Jeff Buckley lui-même affectionnait particulièrement et avait reprise, en plus de lui répondre en quelque sorte avec sa chanson « Dream brother ») et, enfin, la brève mais parfaitement choisie « La ritournelle » de Sébastien Tellier forment une conclusion tout en émotion et douceur.
J’ai enfin découvert Jono McCleery, son univers. Quel bonheur en cet hiver aux accents plutôt automnaux ! Son nouvel album est d’une inimité rare pour un album studio, et les orchestrations quasi-acoustiques qui l’accompagnent sont un régal !
(in heepro.wordpress.com, le 24/01/2018)
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