– Alors? Comment vont ces gens?
– Ma foi, ils vont avec leur corps!
– Leur corps?!
– Oui, vous savez, avec ce genre de corps qui a des besoins, des envies, des caprices… alors ils vont selon…
– Mais ils vont bien quand même?
– A voir… ils passent leur temps à se battre contre leur corps, et quand ils n’en peuvent plus, ils se battent contre les corps des autres à en crever… alors…
– Alors ils souffrent, tout comme nous qui passons notre vie vissés sur ces chaises à faire l’inverse!
– Peut-être moins que nous finalement…
– Pourquoi?
– Parce que leur corps est défini par l’assouvissement de leurs besoins et ils en tirent un maximum de plaisir…
– Leur corps est surtout défini par la mort, sans cela, pas de plaisir… l’urgence, vous comprenez, l’urgence!
– Ho là là… si on commence à philosopher, moi, je m’en vais!
– Et vous irez où, s’il vous plaît?
– J’installerai ma chaise plus loin!
– Je parlerai plus fort!
– Je me boucherai les oreilles!
– Je vous ferai des gestes!
– Je ne regarderai pas!
– Je rapprocherai ma chaise!
– Je pousserai plus loin!
– Mais c’est qu’on commence à faire des caprices!!
– J’appelerai ça plutôt un besoin, celui d’avoir la paix!
– Alors on y est! Vous irez jusqu’à me passer sur le corps?
– Je ne sais plus!
– Je n’aurais jamais dû vous envoyer voir ces gens, vous êtes trempé dans la sensiblerie! Vous voilà infecté par l’envie, la lutte, le corps!!
– Ma foi… je ne serai pas contre un peu de plaisir…
– Reprenez-vous, nous n’avons pas que ça à faire, nous avons encore un long chemin à tracer dans l’inertie… Et il ne faut pas faire de faux pas, le moindre mouvement nous serait fatale! Les observateurs tels que nous se font rares de nos jours… Nous ne devons être qu’une poignée à vivre dans l’objectivité la plus absolue, sans aucune implication… alors? Vous êtes remis? Vous êtes de nouveau avec moi? Vous pourrez faire votre compte rendu habituel?
– Mais où tout cela nous mène-t-il?
– Mais à la plus grande richesse qui soit en ce vil monde : l’ Eternité!!!