Henri Matisse. Le rêve. 1935
« Être pour les autres est l'unique expérience de la transcendance», disait Bonhoeffer.La deuxième expérience, et la plus décisive, est en effet celle de l'amour, parce qu'elle est la première brèche dans le monde des choses dans lequel nous enferment les postulats du positivisme: nous ne sommes pas entourés que d'objets, d'une nature inerte, dont nous aurions seulement à devenir « maîtres et possesseurs » comme le voulait Descartes. Dans ce qui nous entoure il y des visages, et, derrière eux, ce qui n'est pas seulement un objet, un « non-moi », mais des sujets. Un visage n'est pas seulement une image mais un signe. Un signe quidésigne, au-delà de ce qui est perçu, une présence et son sens : du défi ou de l'humilité, de la colère ou de l'amour.Le moi, comme l'écrivait Martin Buber, rencontre un « tu ».Ce n'est pas une chose que je peux saisir par un concept, cen'est pas un instrument ou un obstacle.Dans le monde décrit par Hobbes, « l'homme est un louppour l'homme ». Il en est généralement ainsi dans un mondeobéissant à la seule logique du marché, qui, par sa concurrenceest une logique de jungle : une logique de guerre, de guerrede tous contre tous, « l'autre » ne pouvant être qu'un concurrent,un rival, un obstacle, ou bien un moyen de ma proprepromotion.L'individualisme, où chaque « moi » est enfermé dans sonsac de peau, comme un atome séparé de tous les autres par unvide, est le produit d'une époque historique. L'opposant à lapersonne, dans son rapport avec l'autre et le tout autre ; Péguydisait : « L'individu, c'est le bourgeois que tout homme porteen lui. »Dans cette conception à la fois insulaire et agressive, la libertéde chacun, confondue avec sa propriété, est cadastrée commeelle. Ma liberté s'arrête alors où commence la liberté d'autrui,comme une propriété est bornée par la propriété des autres propriétaires.Mais la liberté des autres n'est pas la limite de maliberté. Elle en est la condition.Au-delà de cette période historique, caractéristique d'unesociété marchande, et même à l'intérieur d'une telle société,des hommes et des femmes n'en acceptent pas les cloisonnementset les affrontements. L'autre n'est pas un moyen de plaisirou de service. Non pas un obstacle, mais une ouverturepermettant le passage de l'individu à la personne, de l'être àla relation, de l'insularité à la fécondation réciproque.Et cela s'appelle l'amour.La sortie de soi, fondamentale et première.>> LIRE LA SUITE >>