On connait tous de César, son prénom et ses fameuses compressions. Pourtant cet artiste majeur du milieu du 20 ème siècle a bouleversé la vision de l’art, et a ouvert les champs des possibles de la sculpture bien au-delà de ses actes en métal compressé.
Né à Marseille, le 1er janvier 1921, dans le quartier populaire de la Belle de Mai, César Baldaccini, suit les cours de l’Ecole supérieure des Beaux Arts de la Cité Phocéenne de 1935 à 1939. En 1937, il obtient trois prix, en gravure, dessin et architecture. Puis en 1943 il intègre l’Ecole nationale des Beaux Arts de Paris, et y reste jusqu’à la fin de la guerre. Après avoir appris la soudure à l’arc (une art peu « noble » mais industrieux) dans un atelier de Villetaneuse (banlieue nord parisienne), où il fera « ses classes », il commence ses premiers essais. Et peu à peu il se perfectionne dans cette technique détournée pour réaliser ses propres œuvres.
Au début des années 50, il retourne à Marseille, où ses recherches continuent, la création, l’innovation en matière de matière et de matériaux. Faute de moyens financiers, et peut être aussi par appétence, il délaisse finalement la pierre, le plâtre, mais se tourne résolument vers le métal, la ferraille qu’il glane un peu partout, et réalise ses premiers essais, ses premières œuvres à partir de ce matériau insolite.
Eternelle recherche
Ce qui frappe et que met en exergue l’exposition, c’est l’éternel aller-retour, la recherche, un travail commencé, laissé puis repris. Il n’y a pas une époque définie pour chaque style ou oeuvre, mais comme l’explique Bernard Blistène, Directeur du Musée national d’art moderne et commissaire de l’exposition, « César a mené plusieurs chantiers de front ». A tel point confie t-il «qu’il a été très difficile de dater les pièces qui sont exposées, et qui proviennent de tous les grands musées du monde et de collections particulières prestigieuses. Pour certaines d’entre elles, nous avons une marge de deux à trois ans ».
Les Fers soudés d’un bestiaire imaginaire
Les premiers fers soudés, des années 54 /57, conglomérats de petits bouts de ferraille, de limailles assemblés dans des figures inventives mais figuratives et animales, bestiaires presque fantasmagorique, ouvrent l’imposante salle d’exposition, d’un seul tenant, à la mesure de l’oeuvre monumentale du maître. La chauve-souris gigantesque planant dans les airs au-dessus des visiteurs, le scorpion aux pattes acérées, et au dard prêt à frapper, l’Esturgeon, sorte de Moby Dick en attente d’un possible visiteur trop intrépide … Les plaques métalliques soudées, si elles ne déroutent plus aujourd’hui le spectateur, doivent être replacées dans leur époque, dans leur contexte. Fin des années 50, début des années 60, difficile de se remémorer ce que pouvaient avoir de violent ces amas de fers bruts, rougis et rouillés, non polis, offrant les aspérité de la matière en fusion coulant d’une matrice de magma.
Que ce soit le bestiaire, les plaques énigmatiques, mi-figuratives, mi-abstraites de la série des Ailes ou de l’homme volant, particulièrement poétique du reste, que ce soit ses plaques femmes, ses nus assis, nous sommes saisis tout à la fois par la brutalité des œuvres, l’essentialité des formes, les sous-entendus qu’elles font naitre en nous. Une « nourriture » pour nos fantasmes et notre imaginaire.
On entre dans le corps des femmes aux ventres ronds d’une probable grossesse. On est saisi par la Victoire de Villetaneuse, Vénus aux formes généreuses, mais à la tête absente. Têtes absentes et non pas détachées, coupées. Comme si l’absence de visage, permettait une plus grande distanciation du sujet, et par contre-coup, une immersion totale dans la technique et ce que dit la sculpture.
Les détournements de sens
On se met à rêver aussi devant les tambours de machine à laver compressés, les outils assemblés, pièces métalliques témoins d’une France ouvrière qui travaille, qui assemble, tout comme le fait César. On déambule dans l’exposition passant de l’un à l’autre espace, plutôt que l’on visite. On flâne entre les grandes compressions, les toutes premières voitures prestigieuses :
« Les 3 tonnes de ferraille », qui en fait ne sont que 1,8 tonnes… A Bernard Blistène qui lui demandait pourquoi avec John Rewald son époux, ils avaient fait don au MoMA (New York) de « leur » compression, la fameuse Buick Jaune, exposée à Beaubourg, sa veuve, présente lors du vernissage Parisien répond : « Mais que vouliez-vous que l’on fasse d’une voiture compressée ? » Evident, et si simple !La Dauphine, galette métallique rouge accrochée aux murs de Beaubourg nous rappelle « le destin des bagnoles qui finissent à la casse », dira encore le commissaire de l’exposition Bernard Blistène.
« Art mortifère » s’interroge t-il ? Ou simplement peut être, reflet d’une société qui l’est beaucoup plus. Et qui après avoir élevé des panthéons à de simples biens de consommation, les cloue au pilori.
Dérision d’une Empreinte du sein d’une danseuse d’un cabaret parisien… un sein si réaliste qu’il semble s’émouvoir au passage du public. Exposé tout contre le fameux Pouce du génie de la compression.
Détournement encore, avec la rarissime série d’Enveloppage, quelques pièces, d’une fragilité extrême, objets du quotidien, moulin à café, chaussure de femme, fusains pour la laine, glanés sur des marchés aux puces (notamment à Nice), et emprisonnés pour l’Eternité dans des feuilles de métacrylate chauffées. Que dire enfin des Expansions, la mousse de polyuréthane mariée au gaz fréon et qui permet d’étonnantes et improbables dégoulinures et coulées de matière.
L’inventivité et les essais de César nous laissent songeurs, et on se dit que « nous aussi on aurait pu faire pareil », sauf qu’il n’y eut qu’un seul César, je veux parler de l’artiste pacifique, bien sûr…
La balade se termine sans s’achever, sur des compressions de cartons, de papiers, essais très éphémères, des plâtres, pièces uniques aux tons pastels, avant le bouquet final des automobiles (on y revient) des années 80 et 90, et de nouvelles compressions revisitées aux couleurs de bonbons acidulées.
C’est finalement un voyage dans 50 années de créations, de recherches et d’inventions, qui permet de comprendre que l’on invente rien, et que « recommencer ce n’est pas refaire », comme a déclaré César.