Critique des Fourberies de Scapin, de Molière, vues le 15 janvier 2018 à la Comédie-Française
Avec Bakary Sangaré, Gilles David, Adeline d’Hermy, Benjamin Lavernhe, Claire de La Rüe du Can/Pauline Clément, Didier Sandre, Julien Frison, Gaël Kamilindi, et les comédiennes de l’Académie de la Comédie-Française Maïka Louakairim et Aude Rouanet, dans une mise en scène de Denis Podalydès
Les Fourberies de Scapin ont une place importante dans mes souvenirs de théâtre : c’est le premier spectacle dont je me rappelle vraiment. J’étais en CM2, c’était une sortie scolaire, je découvrais la pièce bien que je sois déjà allée quelquefois au théâtre. Premier balcon, côté cour, premier rang. Je me souviens d’avoir ri à en pleurer, à en hurler même et avoir applaudi comme jamais. Depuis, j’ai vu plusieurs Scapins : celui monté par Arnaud Denis où il incarnait le rôle titre, il y a quelques années, monté comme une farce et qui m’a touchée comme mon premier ; et celui de Laurent Brethome en 2014, qui a mis du temps à faire son chemin mais qui me laisse un grand souvenir, dû à cette vision nouvelle de la pièce et à un Scapin indépassable, Jérémy Lopez. Comme j’aime beaucoup les mises en scène de Denis Podalydès, mon quatrième Scapin devait suivre cette excellence. Raté.
On ne présente plus Scapin : ce valet qui va intriguer pour des jeunes gens amoureux et qui, en plus d’arracher de l’argent à leurs pères, va se venger par une scène de coups de bâtons à la fois drôle et cruelle. On le présente souvent intelligent et vif, metteur en scène de cette grande farce qu’il va orchestrer pour notre plus grand plaisir – je l’ai aussi connu blasé, usé par la vie et profondément seul, un Scapin plus humain que jamais et qui faisait résonner certaines tirades de la pièce avec une énergie dénonciatrice, lourde d’un passé qu’on devinait. Scapin est un terreau fertile pouvant donner lieu à diverses interprétations. Alors pourquoi la proposition de Denis Podalydès est-elle aussi vide ?
Son Scapin est totalement bipolaire : est-on dans la farce ou dans le drame ? Pourquoi Scapin aide-t-il ses maîtres ? Il ne ressemble plus qu’à une vague marionnette, un pantin dépourvu d’âme. Pour combler le vide, rien de mieux que de lourds décors qui prennent autant de place qu’ils sont inutiles. Je préfère ne pas penser au coût d’une telle installation : disposés sur les 3/4 de la scène, ils figurent un port offrant plusieurs points de vue aux comédiens : à cour, c’est un échafaudage de 5 étages que les acteurs passeront leur temps à monter et descendre, avec force bruits et mouvements ; à jardin, une sorte de belvédère duquel on devine vaguement une vue sur le port, et sur lequel les acteurs feront quelques allers-retours sans intérêt. Tout ça pour finalement venir jouer le reste du temps à l’avant-scène, bien loin de ce décor finalement inutile.
C’est peut-être l’un des spectacles de la Comédie-Française que j’ai vus où l’esprit de Troupe était le plus absent. Forcément, à venir toujours en solitaire devant les spectateurs, cela jure avec la véracité des dialogues et leur crédibilité. De manière générale, sur ce spectacle, la direction d’acteurs laissait fortement à désirer : dès les premières minutes du spectacle, Julien Frison – Octave, ses cris et ses gesticulations à outrance donnaient le ton du spectacle : bruyant et mouvementé. Grande déception également du côté d’Adeline d’Hermy – Zerbinette, qui est d’habitude lumineuse et singulière sur le plateau, et qu’on retrouve ici totalement hors du ton, avec des rires sonnant faux, presque vulgaire dans ses intonations, à se demander pourquoi Léandre manque de se tuer pour elle. Seuls les deux comédiens incarnant les pères, Gilles David et Didier Sandre, semblent avoir compris quelque chose de leurs personnages, offrant des scènes plus rythmées. Je salue également le jeu de Gaël Kamilindi, que je vois pour la deuxième fois sur la scène de la Salle Richelieu, et qui a composé un Léandre touchant, tout en innocence et en sensibilité.
Comme j’ai retardé ma venue aux Fourberies pour cause d’Hommage à Molière, j’ai quand même eu le temps de voir passer quelques critiques. Loin d’être unanimes sur la mise en scène, je voyais quand même ressortir un point commun en la personne de Benjamin Lavernhe. Je n’avais aucun doute sur le talent du jeune homme. Je n’en ai toujours aucun et ne mettrai pas en cause le comédien, mais bien plutôt encore la direction d’acteur, pour avoir ainsi écrasé les dispositions du pensionnaire sous une incarnation basée uniquement sur l’énergie et le cabotinage. Est-il vraiment utile de préciser que sa tirade sur la justice, que j’avais enfin réussi à entendre dans la version de Brethome, résonnait ici comme une liste de courses, un mauvais moment à passer ? Il est sans doute la plus grosse erreur de Podalydès dans ce spectacle : avoir transformé le rôle de Scapin en le numéro de Scapin. Il est celui qui joue le plus pour le public, semblant totalement hors de l’histoire alors qu’il devrait la créer. Il cherche à faire son propre spectacle et plus il ajoute des gags, moins je rentre dans son jeu. Ce qui m’a le plus marquée, c’est à quel point ce Scapin, qui tentait de faire rire le public, ne semblait pas s’amuser.
Dommage de vouloir honorer la mémoire de Molière en l’enterrant une seconde fois.