Avec l’exposition « CONTRARIÉTÉS » à l’Atrium, du 15 janvier au 25 février 2018, l’artiste ivoirienne Aya N’Da inaugure une saison africaine en MARTINIQUE.
Trames couleurs et contrariétés triptyque acrilique et collage sur toile 150 x 150 cm photo Sylvain Joubert.jpg
Presque simultanément deux expositions vont témoigner de l’intérêt que la Martinique porte à l’Afrique, en ce début d’année 2018. Dans un déplacement équivalant, non pas à un retour sur le passé, mais à un échange, une co-relation.
Du 15 janvier au 25 février 2018, Aya N’Da, plasticienne ivoirienne vivant en Guadeloupe, présente,dans la salle de la Véranda de l’Atrium, à Fort-de-France, « Contrariétés », une exposition individuelle d’une quarantaine de toiles.
Quelques jours plus tard, le 21 janvier, la Fondation Clément en partenariat avec la Fondation Dapper invitera le public martiniquais à découvrir, jusqu’au 6 mai 2018, une exposition collective intitulée « Afrique, artistes d’hier et d’aujourd’hui ».
Les rapports existants entre l’Afrique -et plus particulière la Côte d’Ivoire- et la Martinique sont une vieille histoire. Dans le domaine artistique, plus particulièrement.On se souvient du mouvement que Serge Hélénon, enseignant au Mali puis à Abidjan, impulsa en 1970 aux côtés de Louis Laouchez et de Mathieu Gensin, le mouvement auquel on donnera le nom d’« Ecole Négro Caraïbe ».
Aya N’Da naît en 1971, dans cette même décennie qui, avec l’indépendance de la Côte d’Ivoire, voit apparaître L’Ecole supérieure des Beaux-Arts. C’est à cette période qu’émerge une première génération d’artistes ivoiriens à la renommée bientôt internationale, tel Stenka,né en 1945, qui ne renoncera jamais à la plastique africaine, en dépit de la formation reçue à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Ou encore James Houra, dit Kadjo, né en 1952. Mais aussi Mathilde Moreau, née en 1958, première plasticienne ivoirienne qui,ayant bénéficié de l’enseignement d’Hélénon, a fait partie du mouvement Vohou-Vohouinitié par celui-ci (signifiant péjorativement « n’importe quoi »), avant de devenir la Directrice de l’ENBA en 2006.
La somme de toutes les douleurs acrylique sur toile 150 x 100 cm crédits photogr Sylvain Joubert Piks photographe
Artiste contrariée, c’est au contact de la Guadeloupe et de Lucien Léogane qu’Aya N’Da va réactiver son désir de peindre et d’être artiste. Comme Hélénon et Laouchez, Léogane cherche, à travers le mouvement Koukara qu’il crée avec Klodi Cancelier, à ancrer sa démarche picturale dans le terreau culturel caribéen et l’héritage transmis par l’Afrique. « Kouka »étant la contraction de « KouléKaraïb », qui signifie« couleurs Caraïbes ».
Liliane N’Da fait le choix de prendre Aya comme nom d’artiste, en référence à l’ethnie Akan à laquelle elle appartient. Et, comme Lucien Léogane s’inspirant du langage universel présent dans les arts nègre et amérindien, elle opte pour l’abstraction et les figures géométriques.Une première exposition individuelle en mars-avril 2014, à Baie-Mahault, en Guadeloupe, la fait connaître. Intitulée « Formes, couleurs… et rêves », ses œuvres frappent par le dynamisme des formes qui s’équilibrent en se combinant, ainsi que par tout un jeu de couleurs. Les toiles d’Aya, qui dit s’être inspirée des étoffes africaines, et du wax en particulier, ne sont pas sans évoquer Sonia Delaunay et d’autres artistes représentatifs de l’abstraction géométrique. Parallèlement à la revendication de son identité africaine, Aya ne craint pas de reconnaître son appartenance à une culture hybride, héritière de plusieurs composantes. Comme Michel Kodjo et d’autres artistes ivoiriens contemporains, elle refuse de donner à voir une image figée de l’Afrique, conjuguant librement les vertus de l’art contemporain avec les forces de l’art traditionnel.
C’est donc un nouveau visage de l’Afrique qu’Aya nous présente. Un visage, parmi d’autres, de ces Afrique(s) qu’évoquera l’exposition annoncée à la Fondation Clément. Celui d’une artiste femme, bien ancrée dans son environnement sur lequel elle porte un regard délibérément critique.
Mais que nous dit-elle de cette Afrique contemporaine, sujet de ses « contrariétés » ?
Ainsi soit-elle acrylique et collage sur toile 150 x 100 cm photo Sylvain Joubert Piks photographe (2)
Elle évoque d’abord la répression exercée par les différentes religions présentes en Côte d’Ivoire, musulmane, catholique ou évangélique, à l’égard de la sexualité féminine. Sur une grande toile, intitulée « Ainsi soit-elle », elle fait figurer côte à côte une image pieuse de la Vierge Marie, des bribes de phrases empruntées à Benoîte Groult et la représentation stylisée de l’appareil génital féminin. Un vent semble souffler sur des bandes superposées, d’un vert évoquant les billets américains, où se multiplient à l’infini vagins, vulves et trompes utérines. Evoquant, peut-être,le commerce associé à la restauration chirurgicale d’une virginité perdue ?
Sur une autre toile, « le Démon de la vérité », la photographie d’une communauté évangélique en transes sous l’impulsion de son pasteur est associée à un texte sur lequel apparaissent les mots « Pasteurs-Gourous » ou encore « Eglises-sectes ». Dans une représentation qui semble dénoncer, ici encore, l’exploitation,à la fois psychologique et financière,des populations africainessur laquelle prospèrent ces églises. Exploitation à laquelle Aya va opposer, comme ce sera le casdans nombre de ses toiles, des symboles ethniques Adinkras ou Bogolansrenvoyant aux vertus d’une sagesse ancestrale.Se revendiquant ouvertement du leader ivoirien Bernard Dadié, l’artiste témoigne, à travers son art, de la spécificité d’une culture qu’elle entend magnifier.
Les fêlures de l’âme n1 acrilyque sur toile 60 x 60 cmcrédits photogr Jean-Pierre Volet Tof image