Après de nombreux articles sur la fiscalité et les problèmes de l'Union européenne, il m'a semblé utile d'écrire sur les inégalités, d'autant que nous disposons des publications du laboratoire sur les inégalités mondiales (World Inequality Lab, WID). En effet, le WID s'est donné pour mission d'enrichir la base de données World Wealth and Income Database, qui fournit des données mondiales sur les patrimoines et les revenus, à partir desquelles Thomas Piketty avait construit son célèbre livre Le Capital au XXIe siècle. Comme les informations sont nombreuses, il m'a fallu les trier pour vous en restituer l'essentiel en deux billets.
Quelques indicateurs d'inégalités
Pour comparer les richesses et les revenus entre différents pays du monde, l'indicateur le plus usité est le PIB par habitant. Or, si l'on veut tenir compte des flux avec l'étranger, il est nécessaire de préférer le concept de revenu national, égal au PIB moins la consommation de capital fixe plus les revenus nets perçus à l’étranger. Ce faisant, on se concentre sur les revenus qui peuvent réellement être distribués aux résidents et on évite les contresens comme dans le cas de l'Irlande où une grande part du PIB sert à rémunérer les multinationales étrangères...
Au sein de chaque pays, les inégalités de revenus peuvent être appréhendées par l'indicateur de Gini, qui compare l’état de la répartition des revenus à une situation théorique d’égalité parfaite. Ainsi, plus il est proche de zéro, plus on s’approche de l’égalité ; plus il est proche de un, plus on s'approche d'une situation où un seul individu reçoit tous les revenus.
Les inégalités de revenus dans le monde
Commençons par le PIB moyen par adulte :
[ Source : WID ]
Mais c'est surtout en regardant la part du revenu national détenue par les 1 % les plus aisés, que le constat devient inquiétant d'autant qu'il faut certainement le relier à la libéralisation financière des années 1980 et plus généralement à la domination du néolibéralisme :
[ Source : WID ]
Si l'on compare à présent la part du revenu nationale détenue par les 1 % les plus riches avec celle détenue par les 50 % les moins riches, on constate que l'Europe de l'Ouest et les États-Unis ont divergé puisque les 1 % les plus riches aux États-Unis ont capté une part encore plus importante du revenu national tandis que les 50 % les moins riches ont vu leur part diminuer :
[ Source : WID ]
Parmi les explications avancées, il y a bien entendu le fait que la fiscalité soit devenue de moins en moins progressive aux États-Unis, et cela va encore s'aggraver avec la récente réforme de Trump qui bénéficiera aux plus riches (60 milliards d'impôts économisés par les 1 % les plus riches qui gagnent plus de 500 000 dollars, soit autant que les réductions d'impôts des 50 % d'Américains qui gagnent entre 20 000 et 100 000 dollars...).
On ne peut dès lors s'empêcher de penser à cette célèbre réplique de don Salluste, quand bien même certains veulent faire croire que ces hautes rémunérations et les inégalités afférentes ne sont que la juste répartition des talents au sein de l'économie :
Les inégalités de patrimoine dans le monde
Commençons par la part des 1 % les plus aisés dans le patrimoine net des ménages :
[ Source : WID ]
Au jeu du pire, la Russie fait même mieux que les États-Unis, puisque les 1 % les plus aisés détenaient en 2015 43 % du patrimoine net total des ménages contre 22 % deux décennies plus tôt ! À l'évidence, l'explication est à chercher du côté des privatisations sauvages qui ont suivi la transition de l'économie socialiste vers l'économie de marché. Quant aux États-Unis, tout a été fait depuis le tournant néolibéral des années Reagan pour que cette concentration du patrimoine perdure et s'amplifie.
De son côté, l'ONG Oxfam marque chaque année les esprits avec la publication de son rapport sur les inégalités le jour même de la réunion annuelle du Forum économique mondial à Davos. Leur méthodologie peut être lue à cet adresse, mais toujours est-il que le chiffre choc est le suivant :
[ Source : France Bleu ]
Les économistes du WID pointent d'ailleurs du doigt le fait que cette hausse du patrimoine net privé est hélas parallèle à une baisse du patrimoine net public autant dans les pays développés qu'émergents, ce qui signifie que les privatisations ont considérablement réduit le patrimoine public, au point où il devient même négatif au Japon et aux États-Unis et à peine tangent à 0 en Allemagne et en France :
[ Source : Le Monde ]
Encore quelques années et les États seront définitivement privés de tous moyens d'appliquer une politique économique, puisque la valeur de leurs engagements (dettes publiques) sera supérieure à celle de leurs rares actifs non privatisés (actifs financiers, terrains, ponts, barrages, bâtiments, etc.) !