Où l'on mesure l'hypocrisie d'une injonction à voter contre Le Pen pour ensuite lui emprunter ses marqueurs politiques en matière de politique d'asile et d'immigration; où l'on mesure la démesure de la loi Travail maintenant qu'elle est en vigueur; où l'on s'amuse de Jupiter en Chine, à Rome ou à Paris.
Marine à l'intérieur ?Vous souvenez-vous ? Il y a 8 mois, l'injonction était pressante, unanime chez les médias principaux. ll y avait un risque à voir l'Immonde triompher et prendre le pouvoir. Si la menace eut été sérieuse - car elle ne l'était pas - nous aurions pu avoir des sueurs froides: l'empilement des lois sécuritaires et liberticides au nom de la lutte contre l'insécurité et le terrorisme a transformé la République en régime dangereux. Le kit de passage à l'autocratie est prêt à l'emploi, il suffit de la mauvaise personne aux commandes du pays. En mai dernier donc, il fallait voter contre le danger Le Pen. L'injonction était pressante.
Huit mois plus tard, l'état d'urgence est déjà pérennisé dans ses grandes lignes et certains affreux détails dans la loi ordinaire. Et voici maintenant le projet de loi "asile et immigration".
L'Eglise s'en émeut. Des intellectuels protestent. Les associations crient depuis des mois, 26 d'entre elles saisissent le juge des référés du Conseil d'État pour obtenir la suspension de la circulaire Collomb du 12 décembre 2017 qui autorise le tri des réfugiés dans les centres d'hébergement d'urgence par des fonctionnaires de la préfecture. Ces gauchistes du Samu social enfoncent le clou: "nous considérons que cette circulaire rompt avec le principe d'accueil inconditionnel de toute personne en détresse sur le territoire, et nous ne pouvons accepter que des familles, que des enfants, que des femmes vulnérables, restent dehors aujourd'hui".
Mais Jupiter s'obstine. Dans sa course à l’échalote avec la droite furibarde et l'extrême droite, la Macronista a peaufiné son projet sur l'asile et l'immigration. La droite s'accroche à l'augmentation de l'Aide Médicale d'Etat (+108 millions d'euros pour 2018) pour crier au "laxisme" ...
Jeudi, Gérard Collomb présente son projet de loi aux associations. Au sortir de la rencontre, le premier ministre et son sinistre ministre de l'intérieur sont tout sourire, le compte-rendu officiel de cette visite est lénifiant. Rien ne changera, le texte restera tel qu'il est. Les associations dénoncent un texte toujours "déséquilibré".
D'après Collomb, sans rire, il s'agit de "redonner sa pleine portée au droit d'asile en améliorant le traitement des demandes et les conditions d'accueil" (sic!). Pour "redonner" cette "pleine portée", le gouvernement veut allonger à 4 ans les titres de séjours d'apatrides, faciliter la réunification familiale des frères et sœurs des réfugiés mineurs ou renforcer la protection des jeunes filles exposées à un risque d'excision. Des gestes sympathiques, un devoir humaniste ? Toute la Macronista est résumée dans cette loi, un geste sympathique pour cacher l'essentiel, en l'occurrence ignoble.
Car, en même temps comme on dit en Macronista, Jupiter veut réduire les délais de dépôt de dossier d'asile de 120 à 90 jours et de recours des déboutés d'un mois à 15 jours ("il faut aujourd’hui environ 30 jours ouvrés pour accéder à un rendez-vous en préfecture" rappelle Le Monde) ; autoriser la suppression des allocations et entamer l'éloignement des déboutés sans attendre un éventuel recours, étendre toutes sortes de possibilités de détention des réfugiés (notamment de 45 à 90 jours pour la rétention administrative, et de 16 à 24 heures pour la vérification des papiers); recourir à l'assignation à résidence pendant le délai de départ volontaire; et, last but not least, améliorer le tri en fonction des compétences des candidats à l'immigration.
Où est la "grande vague migratoire" ? Si la France a reçu un nombre "record" de 100 000 demandes d'asile, le nombre de migrants accueilli en Europe en 2017 a été deux fois moindre qu'en 2016. En France, sur 91 000 clandestins interpellés, 14 000 ont été reconduits sous la contrainte, soit +14 % par rapport à 2016.
Quand il fut interrogé sur le sujet, en "off", entouré d'une grappe de journalistes lors de ses vœux à l'Elysée, Jupiter expliquait qu'il fallait respecter des règles. Quand ces règles justifient la destruction des campements et des couchages, l'empoisonnement des rations d'eau (d'après Human Right Watch), le recours au gaz poivre (ou lacrymogène - il y a débat... sic!), ne faut-il pas envisager de les changer ?
En déplacement à Rome, mardi, il brasse du vent, il manie du concept, il publie des beaux tweets avec des photos du Domus Aurea. Il fait des belles phrases, creuses à souhait: "L'humanité sans l'efficacité, ce sont de belles paroles. L'efficacité sans l'humanité, c'est de l'injustice". Ou encore: "il ne faut pas oublier que nous sommes en train de parler de femmes et d'hommes, qui continuent à mourir, en Afrique sur ces routes de la nécessité à travers le Sahara et le Sahel, ou (...) en Méditerranée." Puis, soudainement, il lâche cette mise en garde: il faut "se garder des faux bons sentiments". Cet éclair de cynisme avoué remet Jupiter là où il est, c'est-à-dire au sein de cette droite furibarde, de cette extrême droite effrayée.
Refuser un toit à des sans-abris, de la nourriture à ceux qui ont faim, des premiers soins aux malades, ou la scolarisation à des enfant sous prétexte qu'il leur manque des papiers, voici des "marqueurs" historiques de l'extrême droite en France.
Jupiter, heureux.
Mais Jupiter n'en a cure. Il ne s'y trompe pas. Ces annonces, au risque de contredire son discours libéral et humaniste de campagne, lui assure un soutien grandissant à droite (54% d'opinions favorables dans le dernier sondage du Figaro, +4 points). Sa cote remonte, que demande le peuple ? Puisque les sondages sont meilleurs, c'est qu'il suit la bonne voie n'est-ce-pas ?
Qu'importe si une ministre inexpérimentée est trop franche quand elle annonce ce que l'on sait déjà sur la taxe d'habitation: supprimée "pour tous", elle reviendra ailleurs, sous une autre forme. Il suffisait d lire et comprendre les annonces de Macron, en octobre dernier devant le Congrès des maires de France. Il avait promis une nouvelle fiscalité locale "plus juste" que la taxe d'habitation.
Jupiter rayonne, il plane. Il perd pied. Trop de bonheur, trop de succès. Il se lâche.
Quand il rencontre enfin le jeune chancelier autrichien Sébastian Kurtz, celui-même qui gouverne avec les héritiers du nazisme à qui il a accepté de confier 6 ministères sur 13, dont les plus régaliens (défense, police, Affaires étrangères), Macron se fend d'un tweet ubuesque: "sur les défis de migrations, de développement, de numérique ou d’environnement, nous avons besoin de plus d'Europe. Le Chancelier
Jupiter rayonne, il plane.
En début de semaine, Jupiter est en Chine. Il inonde Twitter de propos lénifiants ("Ma visite en Chine pose les fondements d’un agenda d’amitié." ou encore: "Les liens culturels sont indispensables pour la compréhension mutuelle de nos deux civilisations toujours en devenir.")
Il a emmené suffisamment de journalistes dans son avion officiel pour que la presse relaie la "moisson" de contrats avec la plus grande dictature du monde. Notre "président-sourire" évoque quand même les droits humains, mais d'une curieuse manière: "lors de sa conférence de presse avec son homologue (où les journalistes n’ont pas eu la possibilité de poser de questions)", relate la directrice d'Human Right Watch, "Emmanuel Macron a fait une très générale allusion aux libertés et aux droits fondamentaux, mais principalement pour indiquer que la diplomatie entre la France et la Chine se ferait dans le respect « des différences » entre les deux pays en la matière. "
Il est vrai que cette "déclaration à la presse" semble incroyablement ringarde. Les deux chefs d'Etat sont assis, le fauteuil parait trop bas pour Jupiter qui peine à apparaitre. Une longue distance, deux mètres sans doute, sépare les deux. Le propos est livré, la presse n'est pas autorisé à contredire ou interroger.
Plus tard, Macron se fait filmer devant d'autres journalistes, mais seul. L'estrade est à sa taille, il la tient fermement des deux mains. On attend un mot éclairé sur les droits de l'homme. Rien. Jupiter poursuit son brassage de concepts - la Chine, "synthèse de la mondialisation". Il insiste, il répète, la France est un "pays d'innovation", un "pays d’entrepreneuriat." "Entrepreneur est un mot que les anglo-saxons ont « volé » à la francophonie." Le voici avec la communauté française, une video de plus sur Twitter, le pouce levé. Puis une autre, avec des patrons chinois, et ce slogan imprimé sur le film: "France is back, Europe is back." Fichtre ! On a compris !
Il est vrai qu'en Chine, nul besoin d'ordonnances ni de loi travail.
En France, les ordonnances Macron sont à peine en vigueur que plusieurs groupes dévoilent leur projet de rupture conventionnelle collective: 1300 suppressions chez PSA, 200 chez Pimkie, 70 chez le Figaro. Mais patatras....Chez Pimkie, les syndicats refusent, et le projet tombe à l'eau. Une nouvelle résistance va-t-elle se faire jour ? Peut-être dans les entreprises où la représentation du personnel existe et/ou est vivace. Pour les autres, renard et poules dialogueront dans un poulailler libre.
Car le dispositif de rupture conventionnelle collective, qui exclue les salariés de tout plan de formation/sécurisation comme dans les plans sociaux d'antan, n'est pas le seul à entrer en vigueur. Juste après Noël, le gouvernement a publié au Journal officiel cinq modèles de lettre de licenciement (pour faciliter les embauches ?). Sont désormais également autorisés les lettres de licenciement à répétition (i.e. des courriers séparés avec des motifs distincts pour justifier le même licenciement et se protéger de tout recours), ou le report à tous les 4 ans la négociation obligatoire sur les salaires.
La façon avec laquelle un gouvernement traite les plus fragiles et les étrangers quand ils ne sont pas puissants est révélateur d'une politique.
Ami macroniste, où es-tu ?