Valentina Stadler (Hänsel), Sophie Mitterhuber (Gretel)
© Christian POGO Zach
Le conte de fées écrit par les frères Grimm est souvent représenté autour des fêtes de Noël. Cette année à Munich, le Théâtre de la Gärtnerplatz a repris l'opéra d'Engelbert Humperdinck dans la mise en scène qu'y avait créée en 1974 Peter Kertz. Le Theater-am-Gärtnerplatz n'avait pu monter ce spectacle ces dernières années en raison des importants travaux de rénovation qui l'avaient contraint de jouer pour cinq saisons en extérieur dans des lieux qui n'étaient pas équipés pour recevoir les décors féeriques de Hermann Soherr. Cette longue interruption est à présent oubliée et la production mise en scène de Kertz a été jouée hier soir pour la 494ème fois. Nul doute qu'elle fêtera très bientôt, peut-être déjà au prochain Noël, sa 500ème!
La période de Noël est une bonne occasion pour lire le conte aux enfants: la maison de la sorcière cannibale est faite de pains d'épices et de Lebkuchen, à l'instar de ce que l'on voit sur les marchés de Noël bavarois.
Engelbert Humperdinck a composé sept opéras, mais seul Hänsel et Gretel, créé à Weimar juste avant la Noël 1893 sous la prestigieuse baguette de Richard Strauss, a connu un certain succès. Il est régulièrement joué en Allemagne au moment des fêtes de Noël.
Humperdinck a profité des leçons de Richard Wagner dont il a été l'assistant à partir de 1880. L'orchestration d'Hänsel et Gretel rappelle certaines pages de Parsifal ou du Crépuscule des dieux. A l'instar de Wagner, Humperdinck a le sens du leitmotiv et sait l'art du développement. Il recourt aussi à l'intégration de chants populaires traditionnels.
Le succès de la mise en scène de Peter Kertz tient entre autres à la parfaite lisibilité de l'action, ce qui, dans le cas qui nous occupe, convient bien à un public jeune ou très jeune: la mise en scène et les décors offrent des repères coutumiers aux enfants qui retrouvent l'imagerie des contes de fée et servent le déroulement de l'action sans les désorienter, elle entretient le rêve, avec quelques moments particulièrement réussis comme le ballet des 14 anges protecteurs, le vol aérien de la sorcière, sa crémation ou la résurrection des myriades d'enfants que l'horrible cannibale avait engraissés avant de les déguster . La sorcière est une vraie sorcière qui vole dans les airs grâce à son balai magique et des flammes de théâtre tout aussi vraies jaillissent de la cheminée du four dans lequel elle a été précipitée. La musique d'Humperdinck recourt souvent à la mélodie populaire et c'est là un art bien assimilable pour de jeunes oreilles. L'oeuvre est élégante et ferme, d'une grâce touchante, établie sur des rythmes enjoués, harmonisée avec soin. L'instrumentation est pleine de ressources, de trouvailles, d'ingéniosités. Et toutes ces belles qualités sont bien mises en valeur par l'orchestre du Theater-am-Gärtnerplatz dirigé par le Kapellmeister Kiril Stankow, un jeune chef prometteur aujourd'hui assistant du directeur musical du théâtre.
C'est la soeur d'Engelbert Humperdinck, Adelheid Wette, qui a tiré un poème de la fable du petit poucet allemand, arrangée par les frères Grimm. Ici, plus d'Ogre, plus de bottes de sept lieues ni de cailloux blancs: l'historiette a été simplifiée, et dès le commencement, un détail vaut d'être noté : les enfants ne sont point perdus par leurs parents; ce sont eux qui fuient la maison paternelle, avides d'école buissonnière.
Le premier acte se passe dans le petit logis, sombre et misérable, de Peter, marchand de balais de son état et père de Hänsel et Gretel. Gretel tricote, assise sur une table comme sur un perchoir, Hänsel est occupé à faire des balais. Ils chantent pour tromper la faim : la chanson du petit garçon finit dans les larmes, et la petite fille a toutes les peines du monde à le consoler. La mère rentre, grognonne, mécontente, sans une tartine à, distribuer aux mioches, et, après avoir gratifié Hänsel et Gretel d'une bonne gifle, elle les envoie dans la forêt cueillir des fraises pour le souper. La pauvre mère est désespérée; elle l'est plus encore quand le père revient à son tour légèrement émmêché et disposé à faire bombance. Mais pourquoi pleurer et geindre ! C'est jour de fête ! Il a vendu quelques balais, et il a acheté des oeufs, du lard et des pommes de terre ! Que la joie soit dans la maison ! Où est la marmaille?
Maximilian Mayer (Knusperhexe), Sophie Mitterhuber (Gretel), Valentina Stadler(Hänsel),© Christian POGO Zach
La marmaille? Elle cueille la fraise dans les sentiers de la forêt. Par cette nuit sans étoiles? Oui. — Femme, femme, tu as donc oublié que l'Ogresse rôde à la brune, en quête d'enfants bien tendres et bien gras ! O les chers petits ! Courons les défendre contre les sorcières chevaucheuses !
Au deuxième acte, nous sommes dans la forêt. Hänsel et Gretel sont perdus, et ils se consolent tant bien que mal en mangeant les fraises qu'ils ont cueillies, et en écoutant le coucou dans la hêtraie. La nuit s'étend peu à peu sur le bois, et voici que dans la brume un petit Homme apparaît, un sac sur l'épaule. C'est l'homme au sable. Deux grains de sable dans les yeux, et le sommeil s'empare des enfants et des oiseaux. Hänsel et Gretel font vite leur prière; ils se laissent tomber sur la mousse, et s'endorment bientôt aux bras l'un de l'autre. Tout à coup, le brouillard se transforme en une merveilleuse clarté, et les Anges gardiens, vêtus de robes claires et traînantes, descendent deux par deux l'escalier de nuages et se placent de chaque côté des enfants endormis.
Le troisième acte est celui de la vilaine sorcière ogresse. Le petit Homme à la Rosée tenant une campanule a secoué des gouttes fraîches et claires sur le front de Gretel qui se frotte les yeux, secoue son frère, et lance des tirelirelis au matin joli. A la place des sapins, on voit à présent la maison de Grignotte (Knusperhexe, la sorcière aux biscuits croustillants), toute luisante de soleil et décorée de pains d'épices. Hänsel se précipite sur la maison de gâteau, et Grignotte, comme si elle attendait ce mouvement d'affamé, s'avance à pas de loup, et jette une corde autour du cou des enfants. Ah, les bons petits ! Comme ils seront bons, rôtis ou cuits sous la cendre. Déjà l'Ogresse se réjouit, et prononce les paroles cabalistiques qui fascinent ses victimes : " Bokus, pokus, bonus, jocus, malus, lacus! » Mais Grignotte a affaire à forte partie. Pendant qu'elle fait manger Hänsel, Gretel reproduit l'incantation : "Bokus, pokus", et, lorsque Grignotte ouvre la porte de son four pour voir si la pâte est cuite, c'est elle que Gretel y enfonce d'une violente poussée. Un craquement formidable se fait entendre. Le four s'effondre avec fracas. La haie de bonshommes eu pain d'épices est remplacée par une haie de petits garçons et de petites filles, et tout ce petit monde saute de joie. Le Père et la Mère surviennent, et c'est un embrassement général.
Les décors et les costumes d'un beau camaïeu de bruns et de beiges contribuent pleinement à la magie du spectacle. La misérable masure délabrée de Peter pourrait servir de crèche de Noël. Hermann Soherr a su rendre l'atmosphère une forêt enchantée aux profondeurs magiques baignée par les lumières changeantes de Jakob Bogensperger. Un grand arbre creux un peu effrayant révèle en son sein des êtres surnaturels et la cabane de pain d'épices serait vraiment délicieuse si elle n'était l'appât fallacieux qui attire les enfants affamés. Le jeune chanteur croate Matija Meić incarne un Peter gouailleur de son baryton puissant et joue fort bien les ivrognes, avec un excellent jeu de scène . La Gertrud d'Ingrid Kaiserfeld reste vocalement fort en retrait de son personnage. Sophie Mitterhuber charme en Gretel avec son beau soprano clair et léger, une grande finesse d'interprétation et une bonne articulation. Valentina Stadler fait ses débuts enthousiastes en Hänsel. La Grignotte de Maximilian Mayer séduit et amuse par ses effets théâtraux, même si la voix, riche et nuancée, ne passe pas toujours l'orchestre. Enfin, l'excellent et ravissant choeur d'enfants du théâtre contribue pleinement à l'enchantement de la soirée.