C'est la grande mode. Vous vous connectez sur le net et vous tombez sur des youtubeurs ou des blogueurs professionnels. Vous allumez la télé, pareil. Community manager, web influencer... il paraît que c'est les professions du futur. Ajoutez là dessus une bonne dose d'ubérisation et un soupçon de vente multiniveau (MLM) et vous avez une image des professions valorisées par la société actuelle, en particulier pour la génération Z, et dans une moindre mesure pour les Y qui sont déjà considérés comme dépassés...
Pourtant quand on y regarde de plus près, il n'y a rien de vraiment nouveau sous le soleil. Votre serviteur a commencé à utiliser le web en 1994 déjà, lorsque ni Google ni Internet Explorer n'existaient. A l'époque on utilisait Netscape comme navigateur et Yahoo ou AltaVista comme moteur de recherche. Il n'y avait pas la vidéo, les images allaient long à se charger et donc les pages faisaient surtout la part belle au textes. Le choix de sites n'était pas énorme, mais progressait sur un rythme de fou. Donc l'outil de base était déjà là.
De même, les possibilités de se faire rémunérer pour ses services sont apparues très tôt sur la toile, avec des sites comme Elance en 1999, bien avant Uber (2009). Pour la vente multiniveau, rien de neuf non plus puisqu'on en parlait déjà en 1950 avec Tupperware... Et si l'on regarde de manière encore plus large, les professions de nature indépendante ont toujours existé : avocats et médecins bien sûr, mais également plombiers, peintres, traducteurs, psychologues, etc.
La recherche montre d'ailleurs que la génération Y, dépeinte comme celle qui voulait casser les codes de la relation employeur/employé, n'est jusqu'ici ni plus ni moins indépendante que la génération X. Il y a toujours eu des freelancers et il y en aura toujours, mais pas forcément plus. L'indépendance est avant tout une affaire de personnalité, plus qu'une histoire d'outils technologiques ou de génération.
D'où vient donc cette image d'une société qui évoluerait vers un monde faite de freelancers ? N'est-ce pas plutôt un moule dans lequel on voudrait nous faire rentrer ? Et pourquoi ?
Quand on y réfléchit un peu, c'est logique. Quand vous êtes une entreprise de jouets pour enfants vous n'avez qu'à envoyer gratuitement vos dernières nouveautés à Swan et Néo (enfants stars sur Youtube) pour qu'ils en fassent la promotion. Cela ne vous coûte pas grand chose, en tout cas nettement moins que les canaux publicitaires habituels, et ça donne l'illusion d'un message plus authentique. Et bien sûr on se tape de ce que ça va donner plus tard, quand Swan et Néo seront ados et que leurs copains de classe ressortiront les vidéos durant les cours, ou encore plus tard lorsqu'ils voudront embrasser une carrière de manager...
De manière plus large, une main d'oeuvre indépendante, c'est du pain béni pour n'importe quelle entreprise. Pas de charges fixes à payer, pas de couverture sociale, et très souvent des salaires de misère, en fonction du chiffre d'affaires, du nombre de pages vues, du nombre de clics, etc. Les taxis Uber alignent des horaires indécents pour des rémunérations ridicules, les sites Internet réclament des heures de création, développement, maintenance et promotion pour générer du trafic et dégager quelques revenus publicitaires insignifiants, voire quelques ventes.
Alors certes, il y a de rares exceptions. Ceux qui font vraiment fortune. Mais on a plus l'impression que ce sont des modèles cités en exemple par les géants du Web pour attirer encore plus de pigeons. En vérité, la très large majorité de ces nouveaux freelancers gagnent peu d'argent, car ils travaillent dans les faits pour Google, Apple, Facebook, Amazon, Uber, Airbnb... Le patronat classique a été remplacé par les superstructures virtuelles américaines. Et c'est loin d'être mieux.
Alors il y a toujours la possibilité de faire de la vente multiniveau... sauf que c'est exactement le même problème... vous travaillez pour ceux qui sont au-dessus de vous dans la chaîne et la plupart du temps vous ne gagnez que très peu d'argent, si vous avez encore la chance de ne pas en perdre. Certaines structures multiniveau ont d'ailleurs été accusées d'être des structures pyramidales, à la manière d'une chaîne de Ponzi.
Je tiens ce site depuis sept ans. Il me rapporte un tout petit peu d'argent, de quoi arrondir les fins de mois, mais très loin de quoi en vivre. Si l'on regarde par rapport au temps investi, c'est nettement plus mal payé que n'importe quel job non qualifié. Si je continue à le tenir, c'est juste par plaisir. A contrario, investir dans une société me demande un tout petit peu d'analyse au début, puis je suis tranquille et bien rémunéré pendant plusieurs années.
Donc entre freelance ou investisseur j'ai vite fait mon choix. Et vous ?