" C'est long de faire resurgir un pays du silence, surtout l'Algérie"
C'est un des romans forts et -phares de la rentrée de septembre. Doté du très convoité prix Goncourt des Lycéens, un prix de coeur, un prix de lecteurs, un prix qui ne trompe pas, L'Art de perdre profile, à travers trois générations, d'Ali, le Kabyle, à Naïma, la Parisienne, le destin d'une famille de Harkis. Restés fidèles à la France, durant les événements, les "Harkis" furent mal accueillis en leur patrie-mère lorsqu'ils fuirent, au début des années '60, 'Algérie devenue indépendante.
Ebranlée par le mutisme d'Hamid, son père, sur son passé algérien, Naïma entreprend la quête de ses origines, interroge l'histoire de sa famille paternelle. Une quête identitaire qui révèle avec une acuité sidérante, l'évolution d'un sentiment d'appartenance à une terre ancestrale et l'art.. de le perdre - peut-être - s'en alléger, du moins, ou mieux encore s'apaiser, sans en renier l'héritage, pour prendre racine en une nouvelle terre, intégrer sa vision, ses moeurs, sa civilisation.
Le récit en est rendu sobre, factuel, par l'emploi de l'indicatif présent; l'interprétation nous en est laissée libre, semant en notre esprit , les germes d'une réflexion identitaire, les sésames d'accès à la civilisation française et le nécessaire respect des divergences culturelles:
"Clarisse ne pose plus de questions. Elle laisse Hamid habiter son silence et elle essaie de s'en construire un, de taille équivalente. Soustrait à sa curiosité, il devrait se sentir mieux mais ce n'est pas le cas. La distance qu'elle a adoptée - qu'il l'a poussée à adopter - l'angoisse. Il voudrait pouvoir lui demander de redevenir celle qui partageait tout mais il sait qu'il n'a rien à lui offrir en échange. Ils s'aiment en se tournant respectueusement autour."
Apolline Elter
L'art de perdre, Alice Zeniter, roman, Ed. Flammarion, août 2017, 510 pp