À l’Épiphanie, les chrétiens célèbrent l'adoration de l’Enfant Jésus par les mages. Qui sont ces mystérieux hommes ? La réponse de Régis Burnet, bibliste et professeur de Nouveau Testament à l’Université catholique de Louvain.
Ces hommes venus voir l’Enfant Jésus étaient-ils rois ou mages ?Le texte grec parle de magoi, en traduction littérale cela a donné « mage ». Terme rare en grec, les Athéniens l’utilisaient pour parler des prêtres perses. Derrière ce mot, il y a à la fois l’étrangeté – un côté exotique – et la notion de sagesse, car ils étaient de bons astronomes. Si Platon les décrivait comme des charlatans, d’autres auteurs comme Hérodote ou Strabon leur reconnaissaient une culture et une richesse intellectuelle. Quand Matthieu, dans son évangile – le seul qui parle de cet épisode de la vie de Jésus –, raconte la venue des « mages » chez la Sainte Famille, il veut souligner que les païens les plus sages sont venus adorer le tout jeune Messie des Juifs.Au IIIe siècle déjà, Tertullien explique que certains les prennent pour des rois (mais lui n’y croit pas). Ensuite, on en a fait une sorte de modèles des rois de la Terre. Certaines représentations de l’époque paléochrétienne (V-VIe siècle) montrent l’étoile que suivent les mages dessinée comme le chrisme signifiant ainsi que les mages étaient les précurseurs des saints empereurs chrétiens vénérant le vrai Dieu, à l’image de l’empereur Constantin.Le Moyen Âge insista beaucoup sur cette qualité royale, tout particulièrement dans les pays allemands. Ce n’est pas un hasard : la dynastie régnant à l’époque sur le Saint-Empire germanique, les Hohenstaufen, s’identifiait à ces rois pieux. Frédéric Barberousse rapporta d’ailleurs leurs reliques et les déposa dans une splendide châsse à Cologne.Et étaient-ils vraiment trois ?Le texte ne dit pas combien ils étaient, mais indique qu’il y a trois présents offerts à Jésus : l’or, l’encens et la myrrhe. Pour autant, dans les représentations artistiques des mages, ils ont pu être deux ou quatre. Cela dépendait de la manière dont le monde était perçu à l’époque. Par exemple, aux XIV-XVe siècle, le monde se divisait en quatre parties et les mages, représentants de toutes les contrées de la Terre, étaient alors quatre. Au Mexique, dans certains lieux, ils sont même cinq, comme les continents de la Terre.Gaspard, Melchior et Balthazar : d'où viennent ces noms ?La première attestation de ces noms se trouve dans un manuscrit, écrit par un moine mérovingien au VIe siècle. Mais a-t-il créé la tradition... ou ne fait-il que l’écrire alors qu’elle préexiste dans la pratique ? On ne sait pas. Un autre texte, au VIIIe siècle, l’Excerpta latina Barbari, les nomme Gaspard, Balthazar et Melchior. Cette source, présentée comme une autorité, a fixé la tradition.Pourquoi ces noms-là ? Balthazar rappelle le livre de Daniel, dans l’Ancien Testament. Melchior est un nom assyrien qui signifie « mon roi est ma lumière ». Pour Gaspard, par contre, il n’existe pas de raison connue ou trouvée. Dans la Légende dorée, Jacques de Voragine, dominicain archevêque de Gênes au XIIIe siècle et grand spécialiste des saints, leur donne trois noms à chacun, l’un en grec, l’autre en latin et enfin un dernier en hébreu : Caspar est alors aussi Appellius et Galgalat ; Balthasar est Amérius et Malgalat ; Melchior est Damascus et Sarathin.Que sont devenus les mages après avoir rencontré Jésus ?L’Évangile de Matthieu est bien le seul texte du Nouveau Testament qui raconte cette visite extraordinaire à Jésus nouveau-né. On sent que cet épisode est écrit et composé pour répondre aux oracles annonçant que les nations et les rois de la terre viendront adorer le Messie (Isaïe 45 et Psaume 72). Le texte dit ensuite qu’ils partent en empruntant « un autre chemin ». Dans les régions orientales, cela a donné lieu à de multiples traditions locales. Une grande dévotion pour les trois mages s’est développée. C’est un processus que l’on voit régulièrement : quand des personnages viennent d’une région, leur histoire est utilisée pour christianiser le lieu. On ne sait pas ce que deviennent les mages après leur rencontre avec Jésus, mais une manière de s’approprier la tradition en Syrie, en Perse, au Moyen-Orient a été, sans support historique, de s’appuyer sur ces mages rapportant la Bonne Nouvelle.
**** source : La Vie