Patrick Grainville n’est pas un tiède. Aussi peut-il sembler
étrange que L’orgie, la
neige, roman de 1990 réédité au moment où sort Falaise des fous, se situe presque tout entier dans des paysages glacés, ceux des
hivers normands de son adolescence. Mais le froid vif n’a rien de tiède. Il
rend les corps plus fermes – même le sexe de l’adolescent bénéficie de ce
raidissement – et il suffit de mettre la main dans la neige pour atteindre à l’orgie
des sens…
D’initiation en initiation, Patrick Grainville poursuit son œuvre
romanesque dans une fièvre qui ne se dément jamais. Ses trois premiers romans constituaient une sorte d’autobiographie
anticipée et, donc, rêvée. Puis l’écrivain a épuisé un certain nombre de
paysages, parmi lesquels l’Afrique des Flamboyants, jusqu’à en revenir maintenant à son passé dont,
il est vrai, des traces avaient déjà marqué d’autres livres. Mais celui-ci, plus
que les précédents, se veut le roman des premiers emportements, des
bouleversements initiaux.
Probablement Patrick Grainville s’intéresse-t-il davantage à
l’adolescence qu’à l’enfance. Un âge trop tendre n’autorise pas en effet la
sensation de dominer le monde. Tandis qu’à quatorze ou quinze ans, dans la campagne
gelée, l’adolescent armé d’un fusil a droit de vie et de mort sur la faune. « On m’a souvent reproché les chasses
de mon adolescence, mais on ignore à quel point j’étais vivant, pris dans le
jeu sacré de la vie et de la mort. » Plus tard, le goût de ce jeu se
perdra, comme s’il n’avait été qu’une étape dans l’existence. Etape importante
et même nécessaire, certes, mais dont, une fois dépassée, on ne retrouve plus
le besoin.
La présence de Yolande est elle aussi essentielle. L’adolescente
fragile, qui mourra des suites d’une crise d’asthme, fait découvrir les
plaisirs des corps à son compagnon de jeu. C’est d’autant plus excitant que
tout se passe en cachette – l’interdit règne évidemment – et qu’il s’agit aussi
d’imiter, d’une certaine manière, le couple idéal, Serge et Solange – Solange
est la sœur aînée de Yolande –, dont l’animalité dans l’amour est un exemple
parfait de consommation de la chair…
Puis il y a
le père, figure de la puissance qui, plus tard, deviendra celle de la faiblesse,
le maître avec lequel il devient possible de chasser la laie devenue féroce
après avoir été blessée, et auprès duquel s’éclairent les désirs des hommes, puisqu’il
les a connus avant son fils. Cette complicité qui exclut implicitement les
femmes est une des facettes les plus brillantes de ce roman. Mais pas la seule :
la neige est constituée de cristaux qui renvoient dans tous les sens la lumière
de la vie.