" Liberté : à distinguer de libération. On n'est pas libre parce qu'on vous le dit, mais seulement lorsque vous le dites vous-même, à vous-même. La liberté à un prix, sinon la vie est gratuite. Vous êtes libre quand vous êtes prêt à en mourir et non lorsque d'autres sont morts à votre place avant que vous ne soyez né.
Manifester : ce n'est pas casser, c'est briser. On casse une vitrine mais on brise ses chaînes.
Réformes : c'est la manière dont on use pour vous enlever le pantalon en vous caressant les cheveux.
La peur : c'est le signe que vous êtes vivant. Si vous n'avez pas peur, cela veut dire que vous n'êtes pas vivant et que donc vous ne pouvez pas donner la vie à ceux qui suivent dans vos entrailles. Pendant la révolution, le dictateur vous frappera souvent. De plus en plus. C'est le signe qu'il a de plus en plus peur. Songez à ça. La peur c'est quand on croît que le courage est inutile. Et ce n'est pas le cas quand vous voulez mieux vivre.
Le chaos : c'est un monstre de papier. On ne peut pas avoir une maison si on n'a pas un pays. et on n'a pas une maison si elle est bâtie par l'index de votre roi. La révolution, c'est le chaos ? Oui. Car le chaos est ce qui précède la reconstruction.
Les islamistes : c'est un gaz qui a une barbe. Le ciel est à celui qui lève les yeux, pas à celui qui s'y soumet. Dieu n'a pas de corps , ni de mains, ni un kami, ni un chef de cabinet. Méfiez-vous des voyages organisés vers les cieux : Dieu est comme la mort ou la naissance, c'est l'affaire de votre unique solitude et personne ne peut le rencontrer à votre place. Ni lui parler avec une procuration.
Élections : votez, n'acquiescez pas. On vote avec les mains pas avec un soupir de désespoir. C'est votre droit, pas votre jour férié. Cela ne sert à rien ? Cela veut dire que pour le moment vous servez le pire.
Président : c'est un homme que vous payez pour s'occuper du pays pendant que vous vous occupez de vos enfants. S'il fait mal son boulot, changez-en. C'est votre droit : vous avez droit à une seule femme mais à quatre présidents. Le contraire est une ruse.
Les "services" : ils ne sont pas mieux que vous, mais peuvent être pires. Demandez-leur des comptes, des noms et pas des pseudos. Plus il y a de voitures banalisées, plus les vies le sont aussi. Méfiez vous de la sécurité d'État, ce n'est pas la vôtre. Le policier est votre employé, pas le contraire. Vous êtes plus nombreux mais ils sont plus organisés : inversez la tendance..."
Kamel Daoud : extrait de "Mes indépendances, chroniques 2010-2016", Actes Sud, 2017