Les grands crus, les pesticides : un accord classique avec le Canard

Par Afust

Couverture du "Que Choisir" n°565 (Janvier 2018)


Les mots clefs essentiels sont là : "vins de Bordeaux" / "grands crus" / "accros aux pesticides", ça s'annonce bien ...
Que nous dit on dans ce papier ?
Au delà du titre, quelle en est l'entame ?

"Il y a quatre ans, notre test portait sur 92 bouteilles en provenance de toute la France avait démontré une contamination générale des vins. Ceux du Sud-Ouest n'étaient pas en reste : 33 molécules différentes avaient été détectées, dont deux interdites en France. Trois fois plus qu'aujourd'hui. En outre, notre enquête, qui avait eu l'effet d'un électrochoc sur la filière, montrait que les bouteilles contenaient en moyenne 268 µg/l de résidus. Même si ce calcul a peu de signification toxicologique, on ne peut que se féliciter de voir cette moyenne descendre à 91 µg/l".

Voilà : "Même si ce calcul a peu de signification toxicologique".
Traduit vers le français çà veut dire que tout ce qui suit est de l'enfumage qui repose sur des chiffres vides de sens.
Car qu'en est-il tant sur le fond que sur la forme ?
En matière de résultats scientifiques et/ou analytiques ma position n'a jamais varié d'un iota et peut se résumer ainsi : "les résultats on s'en cogne, ce qui compte c'est la façon dont ils ont été obtenus".
Cette profession de Foi, j'encourage vivement mes lecteurs (et les étudiants / futurs œnologues que je croise chaque année) à la faire leur.
Ici que dire ?
RAS sur la méthode analytique elle même (QuEChERS).
Tout au plus peut-on regretter que la marge d'erreur ne soit pas indiquée : cette remarque est une remarque de principe, mais pas que de principe.
En effet : le choix de l'UFC – Que Choisir est de classer les vins en fonction de la somme des résidus qui y ont été détectés. Or quand on additionne les résultats obtenus pour 2, 3 ou 4 molécules on additionne aussi les erreurs analytiques qui leur sont, ou pas, spécifiques. Du niveau des marges d'erreur dépend la somme de ces marges d'erreur et donc la significativité des différences indiquées.
Exemples :
est on réellement sûrs que Brane Cantenac (1 molécule – 44 µg/l) a un total de résidus inférieur à celui de Léoville Poyferré (3 molécules ... donc cumul de trois pesticides et de 3 marges d'erreur – 48 µg/l) ?
Certains trouveront sans doute cette remarque anecdotique, et peut-être l'est elle, au moins sur le fond ?
Pour ma part elle me semble essentielle : si l'on prétend à la rigueur, si l'on revendique la précision des chiffres au µg près, et que l'on s'en sert pour faire un classement : le moins que l'on puisse faire (que l'on doive faire !) c'est de donner l'intérêt ... et les limites des dits chiffres. En s'assurant que les différences que l'on observe sont réelles. Et valides.
Bref : pourquoi pas faire un classement chiffré !?
Mais lorsque l'on compare les résultats obtenus par différents échantillons, on se doit d'indiquer le niveau de la marge d'erreur de la méthode et la molécule choisies, et donc le niveau d'incertitude de ce classement. Ceci permet – ou pas – de dire que l'on a – ou pas – la preuve que les échantillons sont, pour les paramètres mesurés, réellement différents.
Ici, ce n'est pas le cas et c'est fâcheux.
Dans le même registre : j'aurais aimé voir le même échantillon analysé deux fois ... juste pour avoir, encore une fois, une idée de la fiabilité de la méthode (et de ceux qui la mettent en œuvre).
Ceci dit, peut-être est ce un péché véniel ?
Oui : là où, de mon point de vue, cette histoire commence à sentir le pâté c'est que, au delà de cette histoire de marge d'erreur, le mode de présentation des résultats est une absurdité sans nom.
Que nous propose t'on ?
Un classement des vins en fonction de la quantité totale de résidus de pesticides qui ont été détectés et dosés dans chaque bouteille.
C'est stupide.
C'est stupide car on additionne des molécules les unes aux autres sans s'intéresser à la toxicité de chacune d'entre elles !

Goûté au Château en Septembre 2017, ce 2014
de Pédesclaux est un de mes préférés de la série.

Ainsi qu'est ce qui indique que le niveau de toxicité d'un Pédesclaux (2014) (fort beau vin qui contient 64 µg/l de l'on ne sait quoi) est le même que celui d'un Fourcas Hosten du même millésime (64 µg/l de quoi donc ?).
Quelle preuve avons nous que l'un et l'autre sont près de 4 fois plus dangereux que Cos d'Estournel (17 µg/l) et 2 fois moins qu'un Croizet-Bages (132 µg/l) ?
Peu importent la toxicité et la toxicité aiguë, seule compte la quantité !?
Ben voyons donc ...
De mêm : Léoville Poyferré (2014) est mal classé car 3 molécules y sont détectées (pour un total de 48 µg/l).
Or dans ce comparatif de l'UFC – Que Choisir le nombre de molécules détectées compte pour 40 % de la note donnée au vin. Et ce quelles que soient ces molécules et leurs toxicités.
J'imagine que le postulat est que le nombre de pesticides détectés témoigne – pour les auteurs de l'article – d'un fâcheux penchant pour la guerre Nucléaire Bactériologique et Chimique ?
Mais peut-être aussi cela indique-t'il plutôt une recherche de la bonne matière active pour la bonne problématique et, donc, une recherche de la meilleure adaptation possible des programmes de traitement à telle ou telle situation (quelle attaque, de quelle intensité, à quel moment ?).
Ou bien aussi le souhait de limiter les résidus et donc la toxicité réelle ou supposée des éventuels résidus ?
Bref : tout ceci est absurde.
Absurde et/ou mensonger.
Car comparer des teneurs en résidus de pesticides et des nombres de pesticides pour en déduire un classement prétendument qualitatif sans, à aucun moment, se poser la question des toxicités respectives, ni prendre la peine d'évoquer la LMR (Limite Maximale de Résidus) de chacune de ces molécules est d'une bêtise abyssale.
Un non sens pur et simple.
Mention particulière pour l'iprodione qui bénéficie d'un "traitement" spécifique : 3 vins en contiennent et sont, à ce titre, déclassés.
Quelques remarques : on nous dit "cette dernière molécule est heureusement présente en très faible quantités".
Quant à savoir quelles sont ces quantités et si elles sont, ou pas, au niveau du seuil de dangerosité : on repassera.
Il faut quand même noter cette précision dans le texte :

""Cela dit, la concentration d'iprodione dans la bouteille de Mouton Cadet est 1000 fois inférieure à la limite autorisée", rassure l'ingénieur [du laboratoire en charge des analyses]".

Bien sur, on conçoit très bien que, même si la molécule n'est pas présente dans le vin à un seuil dangereux pour le consommateur, sa toxicité (tant pour l'applicateur que pour les milieux aquatiques) suffit à décider de s'en passer.
Or : selon le règlement CE 1272/2008 l'iprodione est un cancérogène de catégorie 2 et, selon l'EFSA (conclusions rendues le 8 juin 2016), il faudrait considérer cette molécule comme un carcinogène de catégorie 1B et un toxique pour la reproduction de catégorie 2.
L'UE a donc décidé le non renouvellement de l'approbation de l'iprodione (Règlement 2017/2091 publié le 15 novembre 2017).
En conséquence de quoi les autorisations de produits phyto contenant de l'iprodione doivent être retirées avant le 5 mars 2018 (étonnant délai "de grâce" au 5 juin 2018).
Entendons nous bien : la présence d'iprodione n'est pas glorieuse. Mais certainement pas indigne.
On parle en effet de vins du millésime 2014 (2015 dans le cas de Mouton Cadet) qui en contiennent des quantités infimes, et de textes interdisant l'utilisation de ce produit qui sont postérieurs à son utilisation, puisqu'ils datent de 2016 / 2017, avec application à 2018.
Cette histoire de millésime des vins n'est pas seulement intéressante du point de vue de l'évolution des textes et de la connaissance / reconnaissance de telle ou telle molécule et sa dangerosité.
Elle est aussi le dernier reproche de fond que je ferai à cet article de l'UFC – Que Choisir.
J'ai déjà évoqué, plus haut, l'inanité de comparaisons seulement quantitatives (inanité que l'UFC - Que Choisir reconnait du bout des lèvres), alors je n'y reviens pas.
Je souhaite "seulement" relever qu'au delà du non sens de la comparaison faite sur un mode quantitatif (et seulement quantitatif) il y a un autre biais, et non des moindres : dans l'une et l'autre des études on ne compare ni les mêmes vins (à l'exception de Mouton Cadet, qui est un vin de négoce, avec des approvisionnements et des assemblages éminemment variables, ce qui rend difficile de déduire quoi que ce soit quand on en vient à l'évolution des pratiques viticoles), ni les mêmes millésimes.
Est il besoin de rappeler que l'utilisation de pesticides, dès lors qu'elle est raisonnée – et elle se doit de l'être – est forcément proportionnelle à la pression des maladies et ravageurs ?
Donc à la climatologie.
Pour la climatologie de 2014 on pourra aller lire le billet annuel que Daniel Sériot produit sur le sujet, millésime après millésime.
On se convaincra alors que 2014 n'est pas une année critique, et ce même si les mois de Juillet / Août ont été favorables au développement des maladies cryptogamiques.
Bon, 2010 n'était une année terrible marquée par une grosse pression cryptogamique, pourtant Mouton Cadet (2010) contenait 14 pesticides différents (dont 7 à l'état de traces) pour un total quantifié de 450 µg/l.

"Que Choisir" 518 (Octobre 2013)

Force est de constater que Mouton Cadet (2014) ne contient plus, lui, que 3 pesticides différents (dont 1 à l'état de trace) pour un total de 59 µg/l.

"Que Choisir" 565 (Janvier 2018)


Je l'ai dit plus haut : rien ne permet de dire que, d'un point de vue toxicologique, c'est mieux.
Mais c'est moins, quantitativement.
Pas mieux, moins.
Moins d'on ne sait quoi en quantité totale ne veut bien évidemment pas dire grand chose en termes sanitaires. Car, encore une fois, cette seule approche quantitative des résidus de pesticides dans le vin est inepte.
Le mal que je pense de ce primat du quantitatif, je m'en ouvrais déjà dans un article écrit pour En Magnum (n°4), j'y reviendrai ci dessous.
Mais si l'on souhaite malgré tout évaluer l'évolution des pratiques à l'aide de cet outil, aussi inadapté soit il, c'est simplement impossible : force est de constater qu'il n'y aucun Cru Classé du bordelais parmi les vins analysés en 2013 ! Or en 2017 il n'y a que des Crus Classés du bordelais !
Nous n'avons donc aucune possibilité objective d'envisager quelque évolution que ce soit dans les stratégies de traitement des propriétés dont les vins ont été analysés. Encore moins d'en tirer une conclusion que l'on étendrait à l'ensemble de la profession.
Alors comparer malgré tout à 2013 comme l'UFC – Que Choisir et nombre de commentateurs le font malgré tout ? Dans leur immense majorité, les vins testés en 2017 viennent du Médoc.
Or on en trouve quelques uns dans la liste de 2013 : le Margaux (2010) de Ginestet (11 pesticides, dont 9 à l'état de trace et 2 qui totalisent 228 µg/l), le Prieuré de Meyney (2009) joli Saint Estèphe dont j'affectionne tout particulièrement le premier vin (9 pesticides, dont 5 à l'état de traces et 4 qui totalisent 309 µg/l).
Si vous êtes en mesure de conclure quoi que ce soit de ces chiffres, vous êtes plus doués que moi qui en suis incapable sans savoir quelles sont les molécules, leurs concentrations respectives, les stratégies à la vigne. Sans même parler de le faire sur la base de propriétés, de terroirs et de millésimes si différents.
Cette vision critique, ces réticences devant ce qui nous est dit, je regrette qu'elles ne soient pas partagées par les organes de presse qui se font l'écho de l'UFC.
C'est, par exemple, le cas du Canard Enchaîné.
Il fait très fort le Canard ... ce n'est pas totalement surprenant puisque je me l'étais déjà farci, le Canard, après qu'il ait commis deux papiers indignes : "Pas si beau le vin bio" et "Du vin chimique".
Ici, dans un louable effort pédagogique,
dès l'entame on commence par nous apprendre que :
"Ce fongicide [l'iprodione] est utilisé notamment pour lutter contre la pourriture grise, un champignon parasite qui s'attaque aux feuilles de vignes".
Je trouve louable l'idée d'expliquer au lecteur à quoi servent les produits utilisés.
Ce serait encore plus louable si l'on ne racontait pas n'importe quoi. Car, pas de bol : la pourriture grise ne s'attaque pas aux feuilles mais bien aux grappes. L'information est, bien sur, anecdotique ... mais, comme l'écrit Le Canard à propos du recours à cette molécule : "Mais ça la fiche tout de même mal".
Et çà n'inspire pas totalement confiance quand on songe au sérieux du rédacteur.
Passons rapidement sur l'habituel code langagier anxiogène : "près des deux tiers [des bouteilles analysées] renferment plusieurs types de molécules chimiques".
Comment te dire : les molécules chimiques y en a partout. Il paraitrait même que nous sommes exclusivement faits de molécules chimiques. Dingue ...
Bien sur, cette introduction n'a d'autre but que d'enchaîner sur l'habituel couplet :

"la vigne, pour grands crus ou non, est la culture la plus aspergée. Alors qu'elle représente moins de 4 % de la surface agricole, la viticulture éponge près d'une quart des 66 000 tonnes de pesticides pulvérisées, chaque année sur les champs français. La quasi totalité du cocktail est composée de fongicides".

Ce dogme de l'approche des traitements phytosanitaires par leur seul poids est inepte, je m'expliquais d'ailleurs également sur ce sujet dans "En Magnum 4".
En bref : au premier rang (pondéral) des pesticides à action fongicide que trouve t'on ?
La bouillie bordelaise !
Or ce fongicide BIO repose sur l'action fongicide du Cuivre. Une molécule qui pèse, le cuivre.
Dès lors : plus on ira vers le bio, plus on abandonnera les produits de synthèse pour en revenir au Cuivre, et plus on augmentera le tonnage des fongicides utilisés à la vigne !
Encore une fois : l'approche quantitative est inadaptée ! mais présente le considérable avantage de salement foutre la trouille.
Sans doute est ce cette envie de susciter la peur qui entraîne qu'à aucun moment les réticences de l'UFC - Que Choisir ne sont évoquées.
On cherchera en vain quelque allusion que ce soit à "
la concentration d'iprodione dans la bouteille de Mouton Cadet est 1000 fois inférieure à la limite autorisée" ou à : "ce calcul a peu de signification toxicologique".
C'est pas vendeur.

Encore une fois : aborder ces questions au travers du prisme quantitatif sans se poser la question du qualitatif témoigne, au choix, d'une profonde méconnaissance des questions évoquées, ou d'une consternante mauvaise Foi.
Les deux approches (quanti et quali) ne sont, bien sur, pas incompatibles : elles doivent être associées, et non pas s'ignorer mutuellement.
Quant au couplet final sur les phtalates j'avoue que je ne comprends pas bien ce qu'il vient faire là.
Causer des phtalates de cette manière, à cet endroit ... c'est comme si je me mettais soudain, ici, à faire un procès au Canard Enchaîné, au motif que les encres d'impression présentent un risque toxicologique avéré.
Mais non, joker : le militantisme aveugle de ce papier suffit à mon bonheur.
A propos de militantisme aveugle : l'UFC - Que Choisir devait elle, elle aussi, céder à la mode et nous en mettre une couche sur la biodynamie ?
"Cette méthode de culture consiste à prendre soin des équilibres de la terre et de la vigne"
C'est étonnant comme pour la biodynamie on nous dit - en insistant - quelles sont les intentions alors que pour les autres on évoque les pratiques et on analyse les vins.
Pour la biodynamie, à quel moment allons nous parler des pratiques à la vigne ?
Oui : le mésentère de vache, la vessie de cerf et le crâne de chèvre.
Par exemple.
Quoiqu'il en soit ce cette belle histoire de la biodynamie, parmi les 3 vins (millésime 2014) exempts de résidu de pesticide il y a bien un vin en biodynamie : Pontet-Canet (5ème Cru Classé - Pauillac) ... mais aussi Durfort-Vivens (2ème Cru Classé - Margaux) qui, sur son site internet, annonce "
a minimum use of pesticides approach to the vines, that respects the environment" (donc ni bio ni biodynamie), et Clerc-Milon (5ème Cru Classé - Pauillac) qui annonce que "La viticulture y est pratiquée en mode "intégré", dans le respect de l'environnement et en limitant strictement des produits phytosanitaires".
La biodynamie ne semble pas être la clef d'entrée - à tout le moins pas la seule - pour obtenir des vins exempts de résidus de pesticides. Pourquoi n'est ce pas indiqué clairement !?
J'ajoute en outre que, sans préjuger des qualités de Pontet-Canet et Durfort Vivens que je n'ai pas goûtés, j'ai quelques bouteilles de ce millésime de Clerc-Milon en cave.
A ce jour j'ai sacrifié 2 quilles (et c'est un infanticide !) : ce vin est en tous points remarquables.
Car à un moment il faut bien commencer à parler du vin, non ?
Là c'est une magnifique réussite et je ne parle pas, ici, du programme de traitements à la vigne (0 pesticide détecté dans ce vin).
Puis aussi une mention spéciale à Pédesclaux (2014) pour sa qualité et sa très haute buvabilité, ainsi que je l'indique plus haut.
Oui : c'est super reposant de pouvoir parler pinard, et plaisir du pinard, en arrêtant juste deux minutes les trucs à la con formatés pour le buzz et dont tout le monde sait à l'avance que compte tenu qu'ils ne sont que de grosses bouffonneries caricaturales, ils ne feront rien avancer.
A part peut-être le tirage de ce qui vivent sur la bête.