Photo de Simon Woolf
Fragments de Nuit, inutiles et mal écrits : 16
Le voile de nuages qui masquait partiellement le visage rond de la lune constituait un signe faste. Peut-être moins de boulets, moins de bastons et moins de chierie en règle générale. Je restais malgré tout aux aguets, sur le pied de guerre, déterminé à braver les traîtres assauts de sa face cachée, sa gueule cassée de taularde, sa pomme énigmatique à la peau plus rugueuse et plus résistante, aux cratères plus nombreux et plus monstrueux, aux mers de basaltes plus rares et plus obscures. Un célèbre astronaute, ayant examiné de ses propres yeux son envers inconnu, avait déclaré : « il n'y a pas de mots pour la décrire. Juste du sable, des bosses et des trous. Tout y est plus rigide et plus froid. Tout y est détruit et ravagé. » Un peu comme le portrait fêlé du gars qui nous pourrit la soirée, préparant ses sales coups en douce, instillant par dessous main le chaos dans la sérénité. Fallait pas se leurrer, même voilée, la pleine lune était là. Déglinguée.Fragments de Nuit, inutiles et mal écrits : 17
Je jetai un rapide coup d'œil autour de la cabine et ne vis que d'infâmes cougars dégoulinantes de mauvaise sueur. Du coup mon envie de dégobiller ne fit qu'empirer. Goldfinger sentit que j'allais vider mon jabot alors il me tendit le seau de secours : un gros pot de protéines vide à couvercle vissé. On pouvait y vider ses tripes à foison, reboucher le récipient ni vu ni connu, puis replonger ses boyaux dans la bringue sans bouger son cul de la cabine. J'y dégueulai ma race, accroupi derrière le cockpit du DJ. Mon jeune collègue Felicio était consterné.Fragments de Nuit, inutiles et mal écrits : 18
« Magne-toi, Kalache ! Il va nous échapper ! Arrivés à hauteur du gosse, le délire commençait : « Eh trouduc ! Alors comme ça tu fous le bordel dans ma boite ! » Je me plaçais de côté, les jambes légèrement écartées, mes mains jointes autour de la gazeuse, droit comme un piquet, dans la position du bodyguard. Le jeune avait toujours le regard perdu du gars qui comprenait pas. « Hein ? Keske vous voulez ? » À ce moment-là, Serge lui coupait le souffle en lui décochant un uppercut dans le bide. Le gosse se tordait et Serge en profitait pour lui mettre un énorme crochet du gauche en pleine tronche. Et quand le gosse allait embrasser le bitume, le boss le saisissait par le colbac en enchaînant les directs du droit. « Ah, tu la ramènes moins, fils de pute ! » C'était toujours le même scénar. Une fois le minot K.O, le patron le laissait mesurer le sol et le terminait à coups de savates. « Espèce de petit enculé de mes deux, je veux plus voir ta sale gueule de merdeux chez moi, tu piges ? » À chaque fois, je regardais la scène avec dégoût, sans ne jamais parvenir à m'y faire. Malgré ça, je ne tentai jamais rien pour empêcher ces raclées. Pire, je me tenais prêt à intervenir en cas de besoin. Serge prenait cette précaution depuis qu'il s'était fait démonter la tronche par un nabot, boxeur de toute évidence. En tout cas, la rumeur s'était répandue comme une traînée de poudre blanche et le blair défoncé de Serge ne faisait que la confirmer. Inutile de dire qu'il le vécut très mal et que depuis cet accident, il ne manquait jamais de me prendre en renfort. Alors j'assistais à chaque fois au même carnage. Avec quelques variantes : « File-moi la gazeuse, Kalache ! Et Serge douchait le gamin, qui gisait depuis longtemps déjà, complètement rétamé. Des fois, il arrivait que la petite amie accourt en chialant : « Arrêtez, vous allez le tuer ! Par pitié, vous avez pas le droit de faire ça ! - Tiens salope, t'en veux un coup ! » Et le patron de doucher la gamine, qui s'écroulait sur son petit copain en convulsant de douleur. « Allez viens Kalache, on en a fini avec ce ramassis de cassoss. C'est comme les handicapés, faudrait tous les tuer à la naissance. »
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