Les équipes du Nord sont plutôt en forme, c’est un fait! Les Anglais sont des dauphins redoutés, les Écossais se donnent les moyens de leurs ambitions, les Irlandais continuent d’impressionner et les Gallois prouvent qu’ils possèdent un réservoir intéressant. Reste le cas de la France dont la situation est plus problématique mais laissons aux francs-tireurs (pas si francs que ça d’ailleurs puisqu’ils s’acharnent sur une ambulance, en piteux état il est vrai) le soin de se défouler. Les Blacks ont dès lors pu se jauger en affrontant certaines de ces équipes et ce afin de ré-actualiser leur logiciel sur des nations Européennes affûtées et sur lesquelles il faudra peut-être compter lors du prochain Mondial.
La France eut donc le cruel honneur d’ouvrir le bal et a pu constater l’écart qui existait entre une nation légèrement lasse mais sûre de ses repères et une autre en plein marasme et toujours sur le grill. Résultat, il est abyssal et ce ne sera pas le second match de Lyon qui changera la donne. Tellement décriée et pourtant jamais barbante, cette rencontre a juste fait espérer aux Français qu’il y avait la place et que la relève était capable de ressusciter le french flair. Les mêmes qui tiraient à balles fragmentées sur l’ambulance la transformèrent en Ferrari le temps d’une soirée. Ce serait risible si ce n’était pathétique. Bref, les Blacks ont marché sur une équipe de France en friche et ont pu néanmoins observer certains des futurs titulaires d’un groupe Français en reconstruction. Tout est bon à prendre même s’il leur restera maintenant à se familiariser avec Jacques Brunel et sa philosophie de jeu…
Puis ce fut au tour de la Perfide Albion de recevoir dignement les hommes en noir. Et dire que ce ne fut pas simple relève de l’euphémisme car les Écossais, las de servir de punching ball de luxe, parviennent désormais à rendre diablement efficace leur rugby de mouvement. Ballotés comme rarement, les Blacks ont à cette occasion, mais cela devient une bonne habitude, pu démontrer qu’ils n’étaient pas qu’une attaque florissante, ils sont aussi ce qui se fait de mieux en défense. Certes ils sont moins en jambe et subissent un peu plus, certes ils commettent des fautes pour finir par se retrouver à 14 pendant 20 minutes. Mais le sentiment qui domine est qu’il faut que l’équipe d’en face soit capable d’enchaîner inlassablement les temps de jeu devant la ligne d’essai pour avoir une chance de la franchir. D’aucuns qualifient l’organisation défensive des Blacks de clinique et ils n’ont pas tout à fait tort.
« Bis repetita placent » ou « rebelote » comme on veut mais reste que les Gallois, pourtant consistants malgré quelques remaniements importants, ont dû se poser les mêmes questions que le quinze du chardon. Comment s’adapter face à une défense qui monte aussi rapidement? Comment les faire se consommer davantage dans les rucks? Comment individuellement les franchir? Bref comment les désorganiser sans se découvrir? L’amateur de belles oppositions put alors savourer tout à sa guise les vagues rouges qui balayèrent vaillamment le terrain devant un récif noir qui les fit se briser. Parfois, la vague passa mais au prix de quels efforts. Et puis, de temps à autre les Blacks sur leurs rares ballons parvenaient à trouver la faille et s’en allaient aplatir quelques essais assassins. « Ite missa est ».
Dans le même temps, il est certain que Steve Hansen a réussi à tirer de nombreux enseignements de ces matches plus accrochés que ce que le score laissa paraître. Le pack, conséquemment renouvelé, a fait plus que tenir le choc et la première ligne fit dans le classique avec une équation à trois connues : sobriété, rugosité et efficacité. A ce titre, l’on peut dire que les Kane Hames, Nepo Laulala, Nathan Harris voire Tim Perry (dans une moindre mesure) doivent avoir plus que satisfait le staff. Et dire qu’un certain Asafo Aumua est encore dans les starting blocks, cela laisse rêveur. En deuxième et troisième lignes, Luke Whitelock mais surtout les polyvalents Scott Barrett, Vaea Fifita ou encore Liam Squire poursuivent leur petit bonhomme de chemin et si Liam Squire semble avoir une longueur d’avance (gros coureur, gros défenseur, gros gratteur), d’autres peuvent proposer une concurrence plus que crédible. La conclusion est que ces remplaçants-là n’ont, et c’est le moins que l’on puisse dire, sûrement pas terni l’image d’un huit de devant dont la robustesse et la technique sont en passe de devenir des références en la matière. Entourée du monstrueux Sam Whitelock, du boss Kieran Read, et du pitbull Sam Cane, la traction avant blacks a encore fait bien des misères en rassurant tous ceux qui craignaient l’absence des poutres habituelles. Les noms sont moins clinquants mais ça les Blacks n’en ont cure et Steve Hansen et son staff continuent à donner leur chance à des « presque » inconnus tout en maintenant un niveau de jeu très consistant.
A l’arrière le constat est identique, La charnière fut fidèle à elle-même et les amateurs purent derechef constater que le meilleur joueur du monde 2017 n’est pas qu’une formule 1 offensive mais aussi un défenseur précieux (preuve que la masse ne fait pas tout) tandis que les paires de centres se montrèrent plutôt à leur avantage, l’association fonctionnant aussi bien avec Ryan Crotty qu’avec Anton Lienert-Brown ou Sonny Bill Williams (à noter que ce dernier, malgré quelques approximations dans le jeu, confirme qu’il est bien incontournable tant par la pertinence décisive de ses skills que par sa redoutable défense sur l’homme). Ngani Laumape, en ce qui le concerne, a pu saisir sa chance et même s’il doit encore sans doute affiner son jeu « bulldogesque » pour devenir un élément important du groupe, il figure bel et bien comme un espoir à ce poste. Quant à Jack Goodhue, il fit le job, plutôt pas mal d’ailleurs mais les places sont chères.
Sur les ailes, Naholo a montré qu’il demeurait un excellent finisseur même si l’attraction demeure toujours Rieko Ioane qui avec l’insouciance de ses 20 ans confirme les espoirs que le coach place en lui. Et même si rien n’est jamais acquis chez les Blacks (Julian Savea en sait quelque chose), le petit frère Ioane s’est glissé avec une facilité assez déconcertante dans la peau d’un titulaire en puissance. Du reste, son potentiel athlétique et son habilité technique, s’ils n’ont surpris que ceux qui ne le voient pas évoluer en Super Rugby, semblent cependant encore avoir franchi un palier. Une belle confirmation en somme. Matt Duffie a, lui, connu sa première titularisation et il faut espérer qu’il ait savouré ce moment car à ce poste il y a également embouteillage.
Enfin, Damian Mckenzie a fini de mettre tout le monde d’accord et il faudra que Ben Smith, de retour de son congé, s’affirme à nouveau comme le titulaire du poste et que Jordie Barrett parvienne à retrouver le niveau qui fut le sien avant sa blessure à l’épaule pour pousser sur le banc « the smiling assassin ». Décomplexé, audacieux et souvent percutant, il possède décidément ce petit plus qui risque de mettre le coach dans l’embarras lorsqu’il faudra faire un choix. Quoi qu’il en soit, Steve Hansen a pu tout à loisir tester de nouvelles options au poste d’arrière d’autant plus que David Havili a su mettre à profit les miettes laissées par le cadet des frères McKenzie pour montrer que son excellente saison avec les Crusaders n’était pas un « one shot ».
En résumé, cette tournée fut loin d’être inutile. La confrontation avec l’Europe a montré aux hommes de Steve Hansen qu’il y a désormais de ce côté-ci de l’équateur des équipes en progrès constants et qu’il ne s’agirait pas de les sous-estimer. De son côté, la Nouvelle-Zélande a, quant à elle, pu évaluer son réservoir et rassurer tous ceux qui virent avec inquiétude les forfaits de certains tauliers.