« Au revoir là-haut », c’est le dernier film d’Albert Dupontel (coécriture et réalisation), adaptation cinématographique du roman éponyme de Pierre Lemaitre (prix Goncourt 2013). L’ex-humoriste se frotte ainsi à la réalisation pour la 7e fois dans sa carrière. C’est en 1992, qu’Albert Dupontel s’initie à la mise en scène avec Désiré, son premier court métrage, puis dans la réalisation avec son premier film Bernie (1996), qui obtient un grand succès. Toujours adepte en tant que réalisateur des scénarios sinistres et de l’humour noir, il se démarque, ici, au travers cette adaptation littéraire, à la trame historique.
En novembre 1920, Albert Maillard (modeste comptable), est interrogé par un officier de la Gendarmerie française, au Maroc. A travers son témoignage, il raconte la fin de sa participation à la Première Guerre mondiale, sa rencontre avec Edouard Péricourt (le 9 novembre 1918), fils de bonne famille parisienne (dessinateur fantasque, homosexuel et rejeté par son père). Edouard Péricourt est défiguré par un éclat en secourant Albert Maillard, alors enseveli sous terre par l’explosion d’un obus. Edouard est une gueule cassée, alors qu’Albert, traumatisé, devient paranoïaque. Démobilisés, Albert et Edouard, amers, vivent difficilement à Paris. Ces deux laissés-pour-compte souhaitent se venger de l’ingratitude de l’Etat. Ensemble, faisant face à l’incapacité de la société française de leur ménager une place, ils montent ainsi une opération d’escroquerie aux monuments aux morts, prenant appui sur l’une des valeurs les plus en vogue de l’après-guerre, à savoir le patriotisme. Ainsi, ils vendent aux municipalités des monuments fictifs, encaissant l’argent avant de disparaître (la livraison du monument aux morts n’étant jamais effectuée, l’approche commerciale se faisant sur la simple présentation d’un catalogue, faisant ainsi appel aux talents de dessinateur d’Edouard).
L’histoire suit également Henri d’Aulnay-Pradelle, leur ancien lieutenant va-t-en guerre, aristocrate arriviste, devenu lui aussi escroc et qui est parvenu à intégrer la famille Péricourt, dont le patriarche (le père d’Edouard) règne sur la classe politique parisienne. Ce-dernier profite des nombreux morts inhumés dans des tombes de fortune sur le champ de bataille pour signer un contrat avec l’Etat prévoyant de les inhumer dans des cimetières militaires, vendant « aux collectivités des cercueils remplis de terre et de cailloux, voire de soldats allemands ». Durant l’offensive où il fut enseveli, Albert a été le témoin d’un meurtre perpétré par le lieutenant Henri d’Aulnay-Pradelle, souhaitant gagner ses galons de capitaine. Pradelle est parvenu à lancer une dernière offensive en faisant croire que les Allemands, qui attendant pourtant l’Armistice comme les Français, ont tué deux de ses hommes éclaireurs. Mais Albert a compris que c’est son lieutenant qui leur a tirer une balle dans le dos. Pendant l’offensive, Pradelle, se voyant démasqué, pousse Albert dans un trou. Dès lors, Edouard (devenu son beau-frère, Henri ayant épousé sa soeur) et Albert n’auront de cesse de tenter de le faire chuter, en le confondant, ayant eu vent des escroqueries auxquelles il s’associe.
Pierre Lemaitre a emprunté le titre de son roman (ici adapté sur le grand écran), à la dernière lettre adressé à sa femme par le soldat Jean Blanchard injustement fusillé en 1914 et dans laquelle il écrit « Au revoir là-haut ma chère épouse ». Sur le plan de la réalité historique, si l’arnaque au monument aux morts est inventée par l’auteur, celle du trafic des cercueils est réelle. A l’issue de 1914-18, la majorité des familles endeuillées souhaite exhumer le corps de leur parent mort au feu (toujours enterré suivant la loi, dans un carré militaire voisin du lieu où il est tombé au champ d’honneur), afin de l’inhumer dans le cimetière communal, mais le gouvernement interdisant cette pratique par souci d’hygiène, d’économie et pour ne pas mettre en danger l’intégrité et l’identité des cadavres. Bravant cette interdiction, ces familles entreprennent par elles-mêmes ou en faisant appel à des « mercantis de la mort » (entrepreneurs locaux ou « maisons » de pompes funèbres parisiennes, voire des escrocs), de violer les sépultures militaires et ramener clandestinement les corps. Le développement de cette pratique illicite dans les années 1919 et 1920 incite le ministère de l’Intérieur à prendre des décisions, oscillant entre prévention et répression, jusqu’à la loi du 31 juillet 1920 prévoyant que la totalité des frais de transfert autorisé des corps de soldats morts sont désormais à la charge de l’Etat.
L’adaptation réalisée par Albert Dupontel (réalisateur et comédien dans le rôle d’Albert) de ce roman picaresque (et non un roman historique) s’avère relativement talentueuse sur le plan de la réalisation et de la mise en scène. Il est à souligner l’interprétation valable d’Albert Dupontel, mais également la prestation d’acteur de Néhuel Pérez Biscayart dans le rôle d’Edouard Péricourt (en « gueule cassée » masquant son infirmité derrière ses masques chatoyant et colorés, dignes du carnaval de Venise, dessinés et confectionnés par le personnage, tenant de se faire comprendre, ayant perdu l’usage de la parole). Mais il est aussi à souligner celle de Laurent Lafitte particulièrement crédible dans le rôle d’Henri d’Aulnay-Pradelle, ainsi que celle de Niels Arestrup, dans le rôle du père d’Edouard Péricourt, en dépit d’une fin en queue de poisson, souvent inhérente au cinéma (français) contemporain.
J. D.