Armand Sylvestre
Chères lectrices, chers lecteurs.
Tous mes voeux vous accompagnent pour l'an neuf et ce soir à minuit, je ne manquerai pas de vous embrasser en pensée sous le gui. En guise de présent, je vous ai recopié un chapitre lexicologique du Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de Semur (Côte-d'Or), pp. 102 à 105, imprimé il y a 140 ans, en 1877, à Semur-en-Auxois. Ce chapitre nous apporte quelque éclairage sur l'expression Au gui l'an neuf, et sur les coutumes druidiques et françaises qui l'accompagnaient.
TRACES DES CÉRÉMONIES RELIGIEUSES QUE LE GUI A LAISSÉES PARMI NOUS.
Malgré les siècles qui nous séparent de nos ancêtres gaulois, malgré la croisade active que la religion et l'instruction ont entreprise contre tout ce qui est superstition, une erreur populaire aussi enracinée qu'était celle de la divinité du gui ne s'est pas effacée complètement; nous retrouvons les traces de ces cérémonies et de ces erreurs dans plusieurs de nos contrées françaises.
Sans entrer dans les nombreuses pratiques druidiques qui, en se les appropriant, ont été sanctifiées par le christianisme, nous ne parlerons que de celles se rapportant au gui. Mentionnons d'abord, mais sans nous y arrêter, l'eau bénite, qui nous rappelle l'eau lustrale le buis bénit qui, indépendamment du souvenir de l'entrée triomphale de Jésus-Christ à Jérusalem, est encore appendu dans nos maisons comme un préservatif contre différents malheurs; les processions qui sont encore de nos jours, par l'ordre et par le personnel, la reproduction frappante des cérémonies relatives à la récolte du gui.
Le souvenir le plus évident des anciennes coutumes druidiques se retrouve dans le cri « Au gui l'an neuf! (1) qui a subsisté dans plusieurs contrées de notre pays.
Dans quelques provinces de la France, on suspend des rameaux de gui au cou des enfants pour les préserver des maléfices ailleurs, on en forme des colliers, des chapelets pour les préserver ou les guérir de l'épilepsie; enfin on lui attribue tant de qualités merveilleuses qu'on l'a désigné sous le nom de « Bois de la Sainte-Croix. » (Trag. 949 et Dalechamps). Le « gui l'an neuf! » se célébrait dans quelques diocèses par une quête que l'on faisait au premier jour de l'an pour l'entretien des cierges de l'église. Il paraît que cette cérémonie, instituée d'abord pour une bonne cause, dégénéra ensuite en abus par les extravagances les plus bouffonnes. Cette quête se faisait par des jeunes gens de l'un et de l'autre sexe ils choisissaient un chef qu'ils appelaient leur follet, sous la conduite duquel ils commettaient, même dans les églises, des extravagances qui rappelaient celles de la fête des Fous. Cette coutume fut abolie dans le diocèse d'Angers en 1595, par une ordonnance synodale mais on la pratiqua encore hors des églises; ce qui obligea un autre synode, en 1668, à défendre cette quête qui se faisait alors dans les maisons avec beaucoup de licence et de scandale; les garçons et les filles y dansaient et chantaient des chansons dissolues. On y donnait aussi le nom de bachelettes à cette folle réjouissance, peut-être à cause des filles qui s'y rassemblaient, et, qu'en langage du vieux temps, on appelait bachelettes (Thiers, Traité des jeux. De Jaucourt, etc.).
Dans la Dordogne, les habitants des campagnes se visitent mutuellement aux premiers jours de l'année et s'offrent le « Guiliandnand »; les fermiers vont le porter à leurs propriétaires pour se les rendre bons et faciles (Thiébaud de Berneaud). ).
A Château-Landon et dans les villages environnants, les enfants cueillent une baguette de coudrier ou de saule, ils en détachent l'écorce à moi lié et la recoquillent légèrement, de manière à simuler un feuillage; ils vont ensuite de porte en porte faire hommage de cette baguette qu'ils nomment « guilanée» en chantant en coeur une vieille chanson portant aussi le même nom; et, en échange des souhaits qu'ils débitent, on leur donne des présents. A Blois notamment, les enfants nomment « Aguilanlè » un jour de fête pendant lequel ils quêtent des pièces de monnaie, portant dans leur ronde intéressée, une pomme fichée au bout d'une baguette enrubannée (Thiébaud de Berneaud).
Aux environs de Chartres, l'ancienne métropole des Druides, on nomme encore « Aguilabs » les présents que les parents et les amis se font réciproquement au premier jour de l'an, et la manière de donner ces étrennes est de dire « Salut à l'an neuf! – Donnez-moi ma gui l'an neuf! "(Thiébaud de Berneaud).
En Normandie, les enfants demandent encore des "aiguinettes" (Désobry).
En Bourgogne, à Dreux, et dans d'autres pays, les enfants crient: « Au gui l'an neuf! » pour demander leurs étrennes (Dict. de Trévoux). Et la coutume de nos pays, qui consiste à permettre aux enfants d'aller chanter aux portes et demander des œufs, est bien un reste des anciennes mœurs gauloises.
Enfin, en Picardie, dans le siècle dernier, on faisait encore entendre le cri « Au gui l'an neuf!" auquel on ajoutait celui de « Plantez! Plantez! » pour souhaiter une année abondante et fertile.
Ce cri est donc bien un usage gaulois, rapporté par Ovide dans le vers suivant
« Ad viscum Druidae Druidœ clamores olebant » »
Les habitants des rives occidentales de la mer d'Allemagne et des bords de la mer Baltique attribuent encore mille propriétés au Gui de chêne, qui conserve chez eux le nom de « rameau des spectres "(Pascault, Les quatre saisons).
(1) Plusieurs savants ne sont pas d'avis que le cri « au gui l'an neuf » eût été employé par les Gaulois pour convier les peuples à la récolte du gui.
Dom Le Pelletier a remarque que si l'on veut expliquer ces mots par le bas-breton, il faut y voir une altération de enghin, an eil, qui signifie "le blé germe".
D'autres auteurs, remarquant que les Druides s'adonnaient à la magie, et qu'ils portaient suspendu à leur cou, comme caractère distinctif de leur puissance, un oeuf de serpent Anguinum ovum , en ont tiré, par une légère transformation littérale, le cri de « au gui l'an neuf! » Le serpent était regardé, après le gui, comme une marque de la divinité, comme une créature sacrée; et l'emblème adopté était l'œuf, comme renfermant en lui le principe, l'état et la fin de la vie (Pline). Cet œuf était une boule de cristal que, du temps de Pline, la tradition prétendait être le produit de la bave et de la transpiration d'une quantité de serpents, lorsque ceux-ci, à une époque de l'année, se réunissent pour se pelotonner et s'entrelacer de manière à former une pyramide. Se procurer cet œuf n'était pas chose facile. Il fallait, à un certain jour de la lune, arriver d'abord près des serpents, juste assez à temps pour saisir l'œuf au moment où leur souflle le lançait en l'air, puis se sauver bien vite à cheval, car les reptiles ne manquaient pas de courir immédiatement à la poursuite du ravisseur, et ne la quittait qu'à la rencontre d'une rivière. On montra à Pline un de ces œufs qu'en sa qualité de naturaliste il examina curieusement. « I1 était, dit-il, rond et gros comme une pomme de moyenne grandeur; sa coque était cartilagineuse et avait de nombreuses capsules, semblables à celles des bras des poulpes » Cet œuf a été l'origine d'une foule de superstitions grossières. D'après le même auteur, il possédait des vertus miraculeuses il avait entr'autres la propriété de faire gagner les procès à son possesseur, et de lui faciliter l'accès auprès des princes II en advint malheur à un chevalier romain du pays des Voconces (Vienne, en Dauphiné) on en découvrit un sur lui dans un procès, et l'empereur Claude le fit mettre à mort (Pline, Lib. XXIX, 12).
L'oeuf de serpent était encore dans le pays de Cornouailles, celui de Galles et dans les montagnes de l'Ecosse, et il y a un siècle environ, l'objet d'une recherche toute superstitieuse. On continue à y porter des boules de verre appelées « pierres de serpents, » auxquelles on attribue des vertus particulières. De là viennent sans doute nos colliers d'ambre pour faciliter la dentition de nos enfants, nos petits meubles appelés « dents de loup. » (Desobry, Dict d'histoire et de géographie).